Saïd
Ouali (Saa uma3za)
Le
vieux brisquard
Très
tôt, aux aurores, Saïd, le vieux brisquard était debout, il se prépara à la
prière du matin, il faisait ses ablutions, dans la cour encore éclairée par la
lune ;lave, mains, visage, et pieds, tout en murmurant quelques phrases du
Coran l’esprit vif, l’œil alerte, robuste et fort, le colosse était imposant
par sa stature et son tempérament, il faisait peur à tout le monde et tout le
monde le craignait au village.
Il
sursauta brusquement en entendant un bruit assourdissant venant du contrebas de la maison, on frappait à la porte,
Saïd releva la tête, il hésita un instant, puis, tel un ours, il rassembla ses forces
et se rua vers la porte. En ouvrant, il fut surpris de voir son beau-fils
Bouzid et sa fille Menana. Celle-ci, par pudeur ou par tradition, restée en
arrière ; la tête basse et le visage triste.
—
« Qu’est-ce qui vous amène à cette heure-ci ? » Dis Saïd, d’un
ton inquiétant.
Bouzid, l’air embarrassé répondit d’une voix,
presque inaudible
—
« On a eu une dispute de couple et je viens répudier ta fille ».
—
« Ah, bon ! » répondit Saïd, fou furieux, sans quitter le seuil
de sa porte, toisa des yeux à demi fermés, son beau – fils de la tête aux pieds
et poursuit d’un ton provocateur et menaçant :
— « hé ! bien cher monsieur, je te
conseille de reprendre vite ta femme et de rentrer immédiatement chez toi, tant
qu’il fait encore nuit et avant que la nouvelle ne se réponde dans le village, car
dans le cas contraire, je n’hésiterais pas un seul instant ; à te brûler vif ! ».
Bouzid,
sans tarder et sans rien dire, a repris immédiatement accompagné de sa femme, le
chemin du retour vers Aourir Oueulmi,
tout en sachant parfaitement de quoi était capable son beau-père. Cette
histoire resta indéfiniment dans le secret, sans jamais dépasser l’entourage de
la famille.
On
rapporte également qu’un jour, un groupe de gens de la djemaa, qui était venue
frapper à sa porte, Saïd sortit en criant :
—
« Encore vous ! De retour, pourtant je n’ai pas cessé de répéter à
satiété ; que si c’est pour de l’argent n’y comptez pas, si c’est pour un
travail de force ; je suis là ! », tout en bombant le torse.
La
réponse fut sans attendre et tous s’écrièrent à l’unanimité :
—
« Oui, on est venu quémander tes bras pour venir à bout de ce qui reste de
l’ancienne mosquée et qui nous tiennent rigueur ! »
Immédiatement,
il releva les manches de l’unique cache-poussière qu’il portait indéfiniment,
saisit la houe, et la pelle, et s’en va en « guerre » contre la
bâtisse qu’il terrassa sans trop d’efforts.
Saïd
Ben Ali, Ben Ahmed, dit « Sa3a
Uma3za », avait un seul frère, Yahia et une seule sœur.
Tardivement
porté sur l’état civil. Selon son extrait de naissance qui porte le numéro 145 ;
il était alors âgé de 30 ans en 1 891. Il devrait être né, probablement en
1881.
Il
est le conjoint de Ouardia Zenati ; morte à l’âge de 80 ans (1882-1962) (Axxam Nith
Uchergui), et le père de deux (2) garçons Mouloud (1911-1959) et Ali
(1920-2005), et de six (6) filles :
– Khrofa, – Adada, – Mébarka, – Menana, – Messaad
et – Zahra.
Saïd,
était grand de taille, brun de peau, aux yeux marron et au regard d’acier, lui
qui a touché à tous les métiers ;d’abord, agriculteur par atavisme ou par
nécessité, puis boucher, à souk Ouadda (le marché d’en bas), où il avait un
étal à l’époque à son nom ;et un crochet, une sorte de potence, à viande
et autres produits, qu’il louait pour arrondir ses fins de mois, artisan à des
heures perdues, il excellait dans la fabrication des ustensiles de cuisine et particulièrement de
cuillères en bois.
Un
véritable artiste-ébéniste, il avait de l’art dans les mains, mais presque rien
dans les poches, quoique pauvres, mais dignes, il n’exploitait jamais le
travail d’autrui, mais vendait le produit de son propre labeur.
Il
immigra pour un temps, en prenant pour la première fois de sa vie, le bateau en
partance pour la France, regroupés dans la soute comme tous les indigènes, il a
eu la fâcheuse surprise de recevoir un crachat sur la tête du haut de la première classe.la rage au ventre, il s’écria avec un semblant de Français :
—
« Ah, si je montais, je descendrais ! » voulant dire :
« Gare à vous si je monte ! ».
Il
avait fait son chemin à bourlinguer à
travers les pays d’Europe, pour faire fortune, sans succès, il finit par
exercer divers travaux, puis regagnait vite son village natal, et y consacra le
restant de sa vie au travail de la terre.
La
terre ! Saïd Umaaza avait un lien affectif qui le liait, à la terre, le
petit lopin qu’il possédait à « Ighdem », mitoyen du champ des Bahmed, qu’il chérissait comme la prunelle de
ses yeux, quoique, sec et presque aride, une pente rocailleuse, parsemée de quelques
arbres, des oliviers et des figuiers qui
avaient déjà pris de l’âge, et qui ne produisaient plus comme avant ; il
arrivait, que les chèvres des Bahmed n’osassent jamais franchir par peur ou par
instinct la haie qui délimitait les deux champs ; tellement le vieux,
dégageait de la prestance, malgré, la faiblesse de sa vue et sa figure pleine
de rides.
Il
s’accrochait, bon an mal
an, à en tirer de maigres profits pour de grands et énormes efforts ;
quelques litres d’huile, par-ci, quelques kilogrammes de figues, de grenades,
et amandes, par-là, qu’il vendait au marché.
Un
jour, lui qui connaissait parfaitement son champ, de ses moindres recoins à la
plus petite des brindilles, remarqua avec étonnement la disparition de quelques
fruits, qu’il a laissés la veille, en attente de mûrir, il tira vite la
conclusion qu’un voleur rôdait autour du
verger.
Il
se cacha dans un buisson et surveilla toute la journée lorsque deux individus
se sont fait prendre en flagrant délit de vol.
Les
pauvres hommes ont subi une atroce et barbare punition, le colosse les avait enterrés
vivants jusqu’au cou ! Les laissant
rôtir au soleil jusqu’à ce que, leurs siens s’aperçurent de leur absence,
accoururent à leur secours et les sauvèrent d’une mort certaine.
Depuis,
la petite histoire s’est répondue dans le village comme une traînée de poudre
et devint un principe admis par tous dans la préservation de la propriété
privée et, aucune personne n’osait transgresser depuis, le domaine d’autrui.
Saïd,
s’est éteint, en 1941, à l’âge de 60 ans, des suites d’une maladie chronique
dit-on ; la houe à la main.et Dieu ait pitié de son âme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire