samedi 17 janvier 2015

le vieux brisquard

                                           Saïd Ouali (Saa uma3za)

                                                 Le vieux brisquard

Très tôt, aux aurores, Saïd, le vieux brisquard était debout, il se prépara à la prière du matin, il faisait ses ablutions, dans la cour encore éclairée par la lune ;lave, mains, visage, et pieds, tout en murmurant quelques phrases du Coran l’esprit vif, l’œil alerte, robuste et fort, le colosse était imposant par sa stature et son tempérament, il faisait peur à tout le monde et tout le monde le craignait au village. 
Il sursauta brusquement en entendant un bruit assourdissant venant du  contrebas de la maison, on frappait à la porte, Saïd releva la tête, il hésita un instant, puis, tel un ours, il rassembla ses forces et se rua vers la porte. En ouvrant, il fut surpris de voir son beau-fils Bouzid et sa fille Menana. Celle-ci, par pudeur ou par tradition, restée en arrière ; la tête basse et le visage triste.

— « Qu’est-ce qui vous amène à cette heure-ci ? » Dis Saïd, d’un ton inquiétant.
 Bouzid, l’air embarrassé répondit d’une voix, presque inaudible
— « On a eu une dispute de couple et je viens répudier ta fille ». 
— « Ah, bon ! » répondit Saïd, fou furieux, sans quitter le seuil de sa porte, toisa des yeux à demi fermés, son beau – fils de la tête aux pieds et poursuit d’un ton provocateur et menaçant :
 — « hé ! bien cher monsieur, je te conseille de reprendre vite ta femme et de rentrer immédiatement chez toi, tant qu’il fait encore nuit et avant que la nouvelle ne se réponde dans le village, car dans le cas contraire, je n’hésiterais pas un seul instant ; à te brûler vif ! ».

Bouzid, sans tarder et sans rien dire, a repris immédiatement accompagné de sa femme, le chemin du retour vers Aourir  Oueulmi, tout en sachant parfaitement de quoi était capable son beau-père. Cette histoire resta indéfiniment dans le secret, sans jamais dépasser l’entourage de la famille. 
On rapporte également qu’un jour, un groupe de gens de la djemaa, qui était venue frapper à sa porte, Saïd sortit en criant :

— « Encore vous ! De retour, pourtant je n’ai pas cessé de répéter à satiété ; que si c’est pour de l’argent n’y comptez pas, si c’est pour un travail de force ; je suis là ! », tout en bombant le torse. 
La réponse fut sans attendre et tous s’écrièrent à l’unanimité :

— « Oui, on est venu quémander tes bras pour venir à bout de ce qui reste de l’ancienne mosquée et qui nous tiennent rigueur ! » 
Immédiatement, il releva les manches de l’unique cache-poussière qu’il portait indéfiniment, saisit la houe, et la pelle, et s’en va en « guerre » contre la bâtisse qu’il terrassa sans trop d’efforts.
Saïd Ben  Ali, Ben Ahmed, dit « Sa3a Uma3za », avait un seul frère, Yahia et une seule sœur. 
Tardivement porté sur l’état civil. Selon son extrait de naissance qui porte le numéro 145 ; il était alors âgé de 30 ans en 1 891. Il devrait être né, probablement en 1881. 
Il est le conjoint de Ouardia Zenati ; morte à  l’âge de 80 ans (1882-1962) (Axxam Nith Uchergui), et le père de deux (2) garçons Mouloud (1911-1959) et Ali (1920-2005), et de six (6) filles :
 – Khrofa, – Adada, – Mébarka, – Menana, – Messaad et – Zahra.
Saïd, était grand de taille, brun de peau, aux yeux marron et au regard d’acier, lui qui a touché à tous les métiers ;d’abord, agriculteur par atavisme ou par nécessité, puis boucher, à souk Ouadda (le marché d’en bas), où il avait un étal à l’époque à son nom ;et un crochet, une sorte de potence, à viande et autres produits, qu’il louait pour arrondir ses fins de mois, artisan à des heures perdues, il excellait dans la fabrication des  ustensiles de cuisine et particulièrement de cuillères en bois. 
Un véritable artiste-ébéniste, il avait de l’art dans les mains, mais presque rien dans les poches, quoique pauvres, mais dignes, il n’exploitait jamais le travail d’autrui, mais vendait le produit de son propre labeur. 

Il immigra pour un temps, en prenant pour la première fois de sa vie, le bateau en partance pour la France, regroupés dans la soute comme tous les indigènes, il a eu la fâcheuse surprise de recevoir un crachat sur la tête du  haut de la première classe.la rage au  ventre, il s’écria avec un semblant de Français : 
— « Ah, si je montais, je descendrais ! » voulant dire : « Gare à vous si je monte ! ». 
Il avait fait son chemin à bourlinguer à  travers les pays d’Europe, pour faire fortune, sans succès, il finit par exercer divers travaux, puis regagnait vite son village natal, et y consacra le restant de sa vie au travail de la terre.

La terre ! Saïd Umaaza avait un lien affectif qui le liait, à la terre, le petit lopin qu’il possédait à « Ighdem », mitoyen du champ des  Bahmed, qu’il chérissait comme la prunelle de ses yeux, quoique, sec et presque aride, une pente rocailleuse, parsemée de quelques arbres, des oliviers et des  figuiers qui avaient déjà pris de l’âge, et qui ne produisaient plus comme avant ; il arrivait, que les chèvres des Bahmed n’osassent jamais franchir par peur ou par instinct la haie qui délimitait les deux champs ; tellement le vieux, dégageait de la prestance, malgré, la faiblesse de sa vue et sa figure pleine de rides. 
Il s’accrochait, bon  an  mal  an, à en tirer de maigres profits pour de grands et énormes efforts ; quelques litres d’huile, par-ci, quelques kilogrammes de figues, de grenades, et amandes, par-là, qu’il vendait au marché.

Un jour, lui qui connaissait parfaitement son champ, de ses moindres recoins à la plus petite des brindilles, remarqua avec étonnement la disparition de quelques fruits, qu’il a laissés la veille, en attente de mûrir, il tira vite la conclusion qu’un voleur rôdait autour du  verger.
Il se cacha dans un buisson et surveilla toute la journée lorsque deux individus se sont fait prendre en flagrant délit de vol. 
Les pauvres hommes ont subi une atroce et barbare punition, le colosse les avait enterrés vivants jusqu’au  cou ! Les laissant rôtir au soleil jusqu’à ce que, leurs siens s’aperçurent de leur absence, accoururent à leur secours et les sauvèrent d’une mort certaine.
Depuis, la petite histoire s’est répondue dans le village comme une traînée de poudre et devint un principe admis par tous dans la préservation de la propriété privée et, aucune personne n’osait transgresser depuis, le domaine d’autrui.

Saïd, s’est éteint, en 1941, à l’âge de 60 ans, des suites d’une maladie chronique dit-on ; la houe à la main.et Dieu ait pitié de son âme.


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