mardi 1 mars 2016

Dda Chifi Oukharbouch

                                    Dda Chifi Ukharbouch

                                           (Akaba Mohand Chérif),

                                            Le dompteur de mots

Dda Chifi, le vieux vagabond troubadour à la rococo ; volubile, exubérant et plein de verve. Gai et animé. Le bavard aimant paraître faste sans réellement l’être. Celui qui faisait plus de bruit que les chaudrons de Dodone et qui pouvait tenir tète aux dix plus commères qu’on puisse trouver au village.

Avec une éloquence excessive, frénétique et pompeuse, il parle le langage du cœur. Jacasse comme une pie. Babille du matin au soir sans jamais se fatiguer ; sans être médisant ou calomnieux et sans qu’aucune parole ne soit entachée de déshonore ni de méchanceté.

L’homme au fort caractère, celui qui avait une capacité de persuasion hors norme, jusqu'à ce que les villageois lui prêtent le qualificatif de prédiseur. Le bonhomme, qui faisait des proses sans le savoir.

Fier de son burnous blanc qu’il portait été comme hiver. Une sorte de grande cape à capuchon ; tissé en laine et confectionné à domicile par les femmes. Le burnous enveloppe le corps de la tête aux pieds. Il a été de tout temps le vêtement emblématique de l’homme kabyle. Ramassé et jeté sur une épaule, c’était la tenue idéale de sortie. Serré autour du corps, il ne laisse aucune prise au froid, au vent, à la pluie ou à la neige.

Quant au capuchon (aqelmoun) porté sur la tête ; un symbole d’humilité. Les hommes en faisaient aussi une poche, un sac ou un fourre-tout.

Dda Chifi de son vrai nom Akaba Mohand chérif né en 1908, fils d’Abdellah et de Zouina Ahasniou. Il avait de qui tenir, car son grand-père, Ali Oukharbouch, tout aussi récalcitrant et opiniâtre ; un riche propriétaire terrien, possédant de vastes oliveraies et figueries du côté de Chetioua.

Celui-ci, avait participé à l’insurrection de la Kabylie en mars 1871 au côté du cheikh Mohamed el Mokrani et son frère Boumezrag originaires du royaume d’ith Abbas (XVIème-XIXème siècle). Ali était l’émissaire de Si Zine (Madjid), un riche notable marabout d’Aghdan Salah et fervent allié d’el Mokrani.

À la mort au combat d’el Mokrani en mai 1871, défait des Français. Tous ses compagnons y compris Ali Oukharbouch, furent présentés devant la cours d’assises de Constantine en 1873. Condamnés a purgé leurs peines d’abord dans des prisons en France. Puis déportés dans les bagnes de la Nouvelle-Calédonie, pour finir en tant que forçats jusqu’à 1883 où ils furent amnistiés.

Ali regagne alors son village et fut accueilli avec tous les honneurs.

Dda Chifi, quoique qu’il eût passé toute sa vie, tantôt cultivateur, tantôt marchand de bestiaux. Toutefois, il avait le mérite incontestable d’apprendre dès son jeune âge les rudiments de la langue arabe.

Fréquentant d’abord l’école coranique à la mosquée d’Aghdan Salah ; ensuite, il s’est forgé une volonté d’améliorer ses connaissances en fiqh et la rhétorique à la zaouïa d’Oumalou jusqu’à ce qu’il devienne une référence en la matière. Apprécié et reconnu par les siens, il était consulté en conséquence. D’ailleurs, il a été amené à exécrer le métier d’imam pour un temps dans son village.

Comme dit le proverbe :

« À chaque fois que tu chasses le naturel, il revient au galop ».

Dda Chifi avait vite renoué avec son activité préférée et sa faiblesse pour les jacasseries jusqu’à en baver avec une abondance fébrile. Il ne pouvait s’en passer ; le pauvre, il ne pouvait faire autrement, c’est une véritable seconde nature.

Lui qui disait en réponse à une question sur le bavardage :

- « Tous les hommes sont des menteurs ; hypocrites, orgueilleux et bavards. Moi, je m’estime heureux car je ne possède qu’un seul défaut être loquace.

Mais tout de même si le silence est d’or, la parole est d’argent, et puisque tout ce qui brille m’attire, donc je parle ! Parler haut ; parler bas, parler à voix basse, parler fort, parler vite, parler du nez, parler de la gorge, parler entre les dents, parlez avec des gestes, car parler est un art et les mots ont un pouvoir.

Parler assis parler debout, parler beaucoup, trop, parler sans réflexion, parler pour le plaisir de parler, voilà l’homme ! ».

Dda Chifi, le petit bonhomme coiffé de turban avec un teint mat foncé presque noir, cuivré par le soleil. Au tempérament effronté, l’air un peu fou, grand rieur et distrait.

Il se sait beau-parleur et doué. Alors il en abuse à satiété. Il se plaît à voir se former tout autour des attroupements d’hommes à qui il tenait des propos charmeurs ; confectionnés avec des mots magiques, dont lui seul connait les secrets.

 Quelle parade ! Quelle dextérité !

Il s’exerçait avec tant de soin dans l’art de parler et de plaire. Il parlait comme un oracle ; en homme ; humainement. Évidemment, tout le monde n’avait d’oreille que pour lui.

Et comment ne le soit-il pas ?

Lui qui fait des mots ce qu’il veut, les habillent, les polissent pour leur donner le sens et la couleur qu’il désire. Le Regarder parler ! Il est tel un magicien avec ses cartes. Il jongle avec ; distribue les mots à sa guise avec harmonie, cohérence et ajustement presque céleste et qui pénètrent les âmes.

 Il semble que les mots lui obéissent !

 Il est là lorsque le soleil est au zénith. À se prélasser sur les dalles fraîches de la claire-voie de la djemaa (asquif). Bien entourée et bien décidé à jouer de la mâchoire.

Il est là-bas, de bonne heure en plein souk ; monnayant quelques prunes juteuses et gorgées de soleil. Récoltées dans des paniers d’osier ; arrachées au fond de son verger.

 Il est partout ; omniprésent et presque indispensable pour rompre la monotonie d’un petit village creusé dans une cuvette.  

Brûlante en été et glaciale en hiver ; fuit par les jeunes et gardée par les femmes et les vieux.

 « Ah ! Le bon vieux temps, le bon temps qui s’écoulait lentement » soupire Dda Chifi.

 -« Où il faisait bon vivre ; une époque bénie du respect et de l’amour de l’autre ; où l’on ne se souciait guère du lendemain, même si la vie n’était pas du tout facile dans ces villages dépourvus de tout ».

 À travers cet article, nous rendons hommage à ce personnage, très connu, apprécié, aimé en son temps et oublié depuis par les siens. Lui restituer également sa place parmi tant d’autres gens qui ont fait mon village.

 

 

l.ouali mars 2016 in "les gens qui font mon village"

 

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