jeudi 12 décembre 2019

les bâtisseurs du village

                    Dda Rezki Uhafi


Arezki Uhafi de son vrai nom Hafri Arezki (1884/1975), le frère à  Mohand dit « Dada boubou », Saïd, Amar*, L’mouloud*, et Slimane.et aussi à Zahra, Ouardia, et Zouina. Il était le précurseur des maçons à Guenzet, issu d'une famille de bâtisseurs, de père en fils, il a appris le métier dans le tas. Tout est dans la tête, pas besoin de dessin, ni de croquis ,il est l'architecte, le mâcon et l'entrepreneur, en même temps, c'est lui qui a   initié également d'autres hommes à ce métier et à venir renforcer l'équipe  composée  , de son fils Layachi et son cousin germain, Amar Uhafi, et bien  d'autres, Seddik Abbas (Abbes Seddik),Taieb El Ghidouche (Abderrahmane Taieb),Rabah nith Bahmed, Berkouk Berkouk et Amar Ubouchmoukh (Bouchemla Amar).Un peu plus tard, d'autres sont venus, prendre le relai, comme Dda Bouhou Uhafi, Dda Ouaki Lahmidi……   
Ils sillonnaient les villages et les hameaux, avoisinants: Tadarth, Bouzoulith, Aghelad n'Salah (le tas de pierres qui borne la propriété de Salah),Igoudane,Taourirth Tamellat (la petite  colline blanche de schistes),Ighil Lekhmis ( la crête du marché du jeudi),Tizi Medjber (le col de Medjber), Taourith Yaqoub (le petite colline de Yaqoub),jusqu'à Tighremt (Dar El Hadj) , à bâtir maisons et fontaines, à restaurer sols et toitures il n'y a pas un endroit ou' ils n'ont pas laisser leurs empreintes, ils sont les maitres d'ouvrages de presque la moitié des maisons du village.                                                                              
Du matériel, et outils de travail, pas grand-chose, ils leur suffisaient juste d'une truelle, une taloche et d'un fil à plomb et le tour est joué.  
Ils avaient du génie, et  du savoir-faire, à force d'exercer et d'apprendre, le résultat, est dans l’effort, la méthode appliquée et le fruit d'un compromis de toute  l'équipe, car ce n'est pas par hasard que   le style et le patrimoine architectural  transmit d'une génération à l'autre fut préservé.
La réalisation d'une maison ou d'une autre structure, œuvre de toute une vie, est abordée avec rigueur et efficacité. le maître d'œuvre, Arezki et ses maçons, tiennent compte des désirs et des besoins du propriétaire et dans le respect  des délais et du budget et  souvent font  crédit ,pour des mois voir des années à ceux qui ne peuvent s'acquitter de leur du  car pour beaucoup de  villageois, rassembler, une aussi grande somme pour la construction d'une maison, est  une tache difficile ,voir inimaginable vu, leur maigre profit tiré du travail de la terre, et l'absence  d'autres ressources financières. Il arrive que les gens du village s utilisent un autre moyen de payement: le  troc, une sorte d’échange, en cédant l'équivalent d'une parcelle de champs, par ci, d'une bête de somme par là, pour payer les ouvriers.    
 Pour les plus chanceux, c'était une période plus ou moins faste , en empruntant la maxime "quand le bâtiment, va tout va," ils ont créé  de l'emploi  dans le village, des ateliers de menuiserie, pour la fabrication des portes et fenêtres, des exploitations de carrières d'argile qui fournissent la matière première  des tuiles:"takhwat" à Tassift nith Halla, et à Ouaouchia appartenant à la famille Ubenathmane, des magasins de matériaux de construction ont vu le jour, des bucherons , pour couper et transporter à dos de mulet, le bois depuis les maquis et forets de la région, des forgerons pour la serrurerie, et autres besoins de la ferronnerie: fer à cheval, hoquets…..  
Actuellement dans le village, plusieurs bâtisses et  fontaines encore debout sont l'œuvre de cette équipe de bâtisseurs, ainsi la légendaire source d'eau qui porte le nom du bouc  du père fondateur Djeddi  Yaala, "thala Abadh" la plus ancienne des fontaines  fut construite par Arezki et ses ouvriers, "thala N'Guenzet",à Ighzer n'thala (le ravin de la fontaine ) à l'entrée Est du village ,il en est de même de la mosquée  laaraf, située à Taneqoucht (le petit terrain cultivable à la pioche), de la mosquée de Sid Ahmed ou Yousef (ith,(Ait) Ahmed ou Yousef) à "Lahdada" appelé autrefois Amdoun ihaddaden (le bassin des forgerons) et de plusieurs maisons appartenant à des particuliers .
A' travers cet article, nous rendons hommage à ces bâtisseurs  d'un genre particulier, pour le travail accompli, dans le respect des traditions ancestrales, un exemple à méditer  de bravoure, et du génie humain.     
L.Ouali 2015.
Nb : Amar Hafri était membre du conseil d’administration et  vice-président de l’association Larafienne, présidée par Mohamed Ouslati.son frère l’mouloud Hafri était membre assesseur.


mercredi 20 novembre 2019

La quincaillerie

  " 3ammi Rezki et son fils Ouahab "



 


 

                      


à la memoire de ceux qui sont tombés aux champs d'honneur


               Si Igdhem m’était conté 
     En cet après-midi du mois de Mai 1957.à la saison des couleurs vives du printemps, Les pieds nus,  les cheveux au vent, sur le sentier en pente raide, qui traverse les champs, un enfant âgé juste de sept ans, déambule le monticule (akerou H’mana), à toute allure, vers le village à d’Igdhem, une bourgade de 35 maisons, en plein maquis située entre Guenzet et Aourir Oueulmi .et crie a tue tête et à gorge déployée :
     - «  la fin du monde est pour demain !!! Oh gens du village, préparez-vous ; la fin est proche ! ».
      Affairés aux champs, personne ne lui prêtait attention, seul, debout au seuil de la porte hadj Lakhder Bahmed, répliqua froidement :                            -« Tais-toi, espèce de morveux, c’est tout ce que tu nous souhaites avec la dureté de la vie et l’armée françaises sur le dos ».
       Au fond  de lui-même, le vieillard avait senti le vent du malheur, ce pressenti etait juste, le malheur planait sur le village depuis la veille.                        Un secret qu’il garda jalousement en lui, en homme averti, de peur de créer une panique. Il faut dire, également que La vie était dure à « igdhem », un petite village isolé, constitué des familles des Bahmed  et les apparentés, qui vivaient à l’autarcie et se suffisaient  grâce  au travail de la terre.ils menaient alors une vie tranquille et paisible jusqu’au jour ou. 
       Personne ne se doutait que le lendemain et les jours d’après ne seront plus les mêmes, car à l’aube, hadj Lakhder sorti faire ses ablutions à l’appel du muezzin, remarqua juste en face de lui à quelques centaines de mètres, la haut, sur la crête, des ombres furtives qu’il distinguait à peine, à la lueur du petit matin, se faufilaient entre arbres et broussards. Sentant le danger, il rentre à la maison et reveille femmes et enfants:
       -« les soldats sont là !!! Ils encerclent le village».                                 -«cachez vite les enfants et adolescents, aux hommes de s’enfuir, l’armée française sera sans pitié, elle ne vous fera aucun cadeau. »Martèle-il.
      A vrai dire, le vieillard savait déjà, car la veille, un groupe de moudjahiddines y bivouaqua, comme il le faisait assez souvent, dans un « gourbi » à la lisière de la foret, ou, ils mangeaient  et se reposaient, il leur servait d’une bonne cache, un lieu de replis et l’endroit ou ils planifiaient leurs attaques.
        Le jour d’avant, Le groupe s’est accroché avec un bataillon de parachutistes stationnés à « ith Hafed »une commune, à quelques jets de pierres pas loin de la rivière «nith Halla », qui fait face au mont de « Thilla". « Thilla », une des crêtes les plus accidentées et les plus élevées des montagnes d’ith  Yaala.Au cours d’une bataille et lors du repli, un djoundi et dans la précipitation  avait perdu son chargeur de fusil mitrailleur, son chef lui intima l’ordre de le récupérer coûte que coûte.
       Le pauvre djoundi ne rechigna point et se met immédiatement à la recherche des munitions perdues, il passa toute la journée à ratisser la zone de combat sans succès.
       Las des recherches, la peur au ventre et la hantise des représailles, il prit la décision de se rendre à l’ennemi avec armes et bagages.Il  fournit alors de précieux  renseignements à l’armée française qui ne tarda pas à faire une descente au village et  traquer ensuite le groupe de moudjahidines qui s’est précipitamment  déplacé vers la rivière «Tassift  nith Halla".
       Le soleil était au zénith, lorsque les premiers soldats prirent  positions aux quatre coins du village, et  rassemblent les hommes qui n’ont pas pu s’enfuir. Soudain des coups de rafales d'armes automatiques déchirent le silence et c’est le branle-bas. l'écho venait de la rivière, le groupe de moudjahiddines s’est retrouvé face à face avec les soldats de la 19eme division infanterie ,4eme régiment de dragons , 4eme escadrons  installé à El Main* ,SAS d’ith Hafed (1er escadron à Titest-lieutenant Cazav ,puis à Guenzet en1960 –capitaine Gauthey,2eme escadron à Arous,3eme  escadron à Béni-Hocine-capitaine Jean Charneau,le pc à la Fayette-colonel Rapenne ).La SAS –Sections Administratives spécialisées- d’ith Hafed etait Sous le commandement du  capitaine  louis Audry.
      la bataille faisait rage, et les soldats stationnés au village se rendirent à la rivière pour   prêter main forte à leurs collègues et de mettre en étau le groupe .au cours de route ils tombent  par pur hasard sur l’Hadi Bahmed.
       Ce jour-là l’Hadi ne se doutait pas qu’il aller prendre la plus mauvaise décision de sa vie en allant  relever ses pièges, car nulle personne ne retrouvera sa trace depuis.Pendant ce temps, Ouali Saïd, caché avec son cousin Mouloud Bahmed à l’intérieur du mangeoire dans l’étable à bestiaux, sortent et saisissent l’occasion de l'absence momentanée des soldats, pour s’enfuir. Saïd empoigna son cousin et tout deux prennent la fuite vers la délivrance. Arrivés à proximité de la dernière maison du village, Saïd, remarqua un homme, Salah Bahmed, assit sur le perron de la porte, il lui dit :
     -« Qu’est ce que tu fais là, qu'attends-tu pour fuir? ".Salah, par naïveté ou par  ignorance provinciale répondit avec résignation et soumission :
        - « ils (les soldats) m’ont dit de rester là ».
       Les deux enfants sans tarder prirent leurs jambes au cou, et courraient à perdre haleine ,sans savoir où aller ,l’essentiel est d’échapper à la menace qui pesait sur eux et sur tout les villageois .ils couraient à travers monticules, pitons et ravins  jusqu'à ce qu’ils furent arrêté à un endroit boisé, par des appelles presque inaudibles venants des fourrés avoisinants, l’appel du père à son fils, c’était un autre groupe de moudjahiddines qui suivait de loin ce qui se passait au village (Ouali mouloud et belouchet mouloud ….).Le soir, au coucher, les soldats remontèrent au village après une rude bataille, où le groupe de moudjahiddines, qui étaient au nombre de 40, ont laissé onze des leurs.
       Arrivés au village, les soldats  retrouvèrent Salah assit à la même place, qu’ils  prirent avec eux, puis sur le même parcours à quelques centaines de mètres des maisons, un autre homme, Layachi Bahmed  tombe entre leurs mains .ils finiront par  les exécuter tous les deux de sang froid et à bout portant.au lieu dit " takharoubth ".A cet endroit la famille Bahmed a érigé en 2010, une stèle dédiée à leur mémoire et à la mémoire de tous les martyres.C’est à par de mai 1957 que l’ordre d’évacuation du village " Igdhem " fut donné par l’armée française.
       Depuis  le village laissé à l’abordons puis rasé par l’armée coloniale.À ce jour, des maisons, il en reste que des ruines, mais ne dit-on pas que même les ruines   ont des couleurs. Les Bahmed, le cœur en lambeau et la mort dans l'âme quittèrent à jamais « Igdhem», les uns s'établirent à Guenzet, d'autres à Sétif, à Alger et même en France. Où ils possédaient également toits et biens,
       l.Ouali février 2014
                                                -le capitaine Gauthey, commandant du 1er escadron trouve la mort au cours d’un accrochage à l’est de Guenzet le 28 mars 1960.                                                                                                                             El main* –capitaine Georges Laurent (1957/1959)-capitaine Schlagdenoffen (1959/1960)-capitaine Weil (1960/1961) surnommé « Piton rouge »-capitaine Caznav (1961-mai 62 muté de Titest)                                                  -« La jeunesse d’Albert »  témoignage du soldat Naour Albert affecté à El Main, narré par Gozzi Marcel .                                                                                                                                        témoignage de Saïd Ouali, Bahmed Ouali et Mouloud Bahmed.                           
    
          




vendredi 4 octobre 2019

mon ami larbi

mon ami larbi



Mon ami Larbi, l’homme aux milles facette. Sa modestie, son savoir, sa profonde sagesse, et sa simplicité composent un personnage  hors du commun. Le dernier troubadour, notre poète provençal,  qui provoque le verbe, façonne les mots, je l’entends encore disant pêle-mêle des phrases scrupuleusement  biens ordonnées  et qui révélaient bien évidement de la sorte comme une alchimie les diverses  combinaisons  de son caractère généreux et altruiste. 

Il Répliquait à une demande d’un jeunot, intriguant et opportuniste :
-« y’a-t-il du nouveau Larbi ? »
Larbi :
-« pour connaitre le nouveau, il faut me dire ce que tu as fait du ‘vieux’ !!! » 

Mon ami Larbi est considéré  par tout le village comme un homme retiré, solitaire, et insociable mais lorsqu’il s’adresse à ses semblables ses paroles choquent, intriguent et donnent à réfléchir.il parle en homme instruit et expérimenté, comme un mentor, avec les gestes, le ton solennel qui en impose,  et la voix d’un oracle.
Quand  les gens ordinaires  n’attachent pas d’importance aux choses les plus anodines, lui il leur trouve un sens, une valeur, et  une philosophie. Rien ne l’est pour rien, chaque chose dit-il à une raison d’être.

Il faut regarder, étudier, sculpter, déchiffrer et deviner de prés, de loin, à fond dans leur ensemble, peser, apprécier  les choses point par point, à leur vraies valeurs, ce dont la nature nous propose. Tout est dans la nature et le bon  Dieu ne gratifie de belles et merveilleuses choses qui se rapportent à l’existence et à la vie humaine. Tout est à portée de mains, il faut juste y penser.

Il aime volontiers se mêler à un groupe de jeunes et rompe alors la discussion  pour pondre une phrase, un mot, un vers puis s’en va comme si de rien n’était et laisse l’assistance médusée et pantois.

Ainsi est notre Larbi Guennache, l’incompris des siens, l’insaisissable intellectuellement, le damné, le réprouvé, le gaillard qui veut vivre au ban de la société, le héros qu’on traite de mufle !il est celui qui  chante le parfait amour sans  vraiment  y gouter.

Mon ami Larbi, le kabyle qui porte mal son prénom, le comptable qui joue avec les mots car chez lui, ils prennent l’allure de magie, presque hypnotiques !

Mon ami Larbi, je te salue.

l.ouali octobre 2019  


mercredi 14 août 2019

Du mythe de l’isolat kabyle


  1. Du mythe de l’isolat kabyle


   de :Nedjma Abdelfettah Lalmi (1959/2010)
Guenzet… au bout du monde                                 ·         29  Au début du siècle, le pays des Ath Ya’la avait servi de refuge au chérif Benlahrache, membre de l (...)
48 .Entre les villes de Sétif et Béjaïa, dans la partie occidentale et berbérophone du massif du Guergour, se situe Guenzet, modeste chef-lieu du territoire de la tribu des Ath Ya’la. Leurs voisins du village de Harbil raillent les Guenzatis pour leur situation excentrée et considèrent celle-ci comme une punition divine pour leur mauvaise langue. Quand les hivers sont rudes et qu’il neige normalement, Guenzet peut aujourd’hui encore se trouver dans un isolement presque total.            À tel point qu’un récit du xixe siècle d’une expédition punitive contre les Ath Ya’la parce qu’ils avaient hébergé le chérif insurgé Boubaghla29, montre toute l’hésitation des troupes françaises à aborder ce territoire du bout du monde.                                                                                                    49 .Cet isolement fait apparaître comme plutôt paradoxal le portrait qu’en trace E. Carette (1848) dans Études sur la Kabylie proprement dite : on trouve à Guenzet, dit-il, des maisons à étages construites sur le modèle de celles d’Alger. Il y a plusieurs mosquées, dont une à minaret. Certains ménages guenzatis ou ya’laouis ont une vaisselle en cuivre, des domestiques, voire exceptionnellement des esclaves. Il y a enfin un artisanat actif et un marché hebdomadaire fréquenté par différentes tribus, voire par des gens venant de ce que les Ath Ya’la appellent « Tamurt n waεraben » (« le pays des Arabes »), c’est-à-dire le versant arabophone du Guergour ou les plaines du Sétifois
·         30  Dont est originaire Al Warthilânî.                                                                                                                                          ·         31  Une mosquée.
50 .Tout comme leurs voisins proches Ath Wertirane30 ou Ath ‘Abbas, les Ath Ya’la ont un fondouk à Constantine et même, selon certains témoins, dans la lointaine Mascara à l’ouest. Ces tribus ne sont pas les seules de la région à avoir une vocation à s’exporter. La toponymie précoloniale nous révèle l’existence d’un djame’31 des Ath Chebana à Alger, les célèbres Ath Melikeuch auraient même été les compagnons de Bologhîn Ibn Zîrî lors de la fondation d’Alger au Moyen-Âge. La pratique de l’« acheyed », qui mélange colportage, troc, travail saisonnier et activités d’enseignement de l’arabe et du Coran est encore dans les mémoires.
·         32  Expédition pour la perception de l’impôt.
51.À y regarder de plus près, on voit d’ailleurs bien que le massif du Guergour se situe presque en droite ligne, à mi-chemin entre la première et la deuxième capitale du royaume médiéval hammadite : la Qal’a des Béni Hammâd et Béjaïa. Non loin de là, se trouve aussi Achir, la première capitale ziride, Gal’a ou la Qal’a des Ath Abbès (les Labbès des sources espagnoles) et la Medjana, fief des Mokrani. Ici passe le Triq essoltane (la route royale du Moyen-Âge, la route de la Mehalla)32.
52.Selon Ibn Khaldûn, les Ath Ya’la seraient partis de la Qal’a des Béni Hammâd, fuyant les Hilaliens vers la fin du xie siècle (Gaïd 1990 ; Féraud 1868). Mais la région semble avoir connu une occupation humaine très ancienne et le massif du Guergour n’a pas manqué d’être la destination d’archéologues antiquisants (Leschi 1941). La tribu, comme toutes les tribus, est une longue histoire faite de mélanges et d’agrégations successives, d’éclatements aussi.
53.Le deuxième auteur à évoquer les Ath Ya’la est un homme du xvie siècle. Il s’agit d’Al Marînî, dont le texte est retrouvé par Laurent-Charles Féraud, justement à Guenzet, dans la famille maraboutique des Aktouf. L’ouvrage est en quelque sorte une parole intérieure qui polémique ni plus ni moins avec Léon l’Africain, Marmol et autres sur leurs versions de l’occupation de Béjaïa par les Espagnols. Al Marînî (1868) y relate le récit de la destruction et du pillage de la ville, la résistance à l’occupation et évoque l’exode de ses habitants, dont de nombreux Andalous, réfugiés dans les montagnes kabyles, notamment chez les Ath Ya’la mais aussi chez les Zouaouas.
54Le troisième texte date du xviiie siècle. Il s’agit de la fameuse Rihlad’Al Warthilânî, récit de voyage à La Mecque et chronique de la situation politique de la Kabylie à cette époque. Si on le redécouvre aujourd’hui, les lectures qu’on en fait laissent parfois perplexes. Elles servent à mettre en exergue une « tiédeur religieuse » propre à la Kabylie, là où l’auteur montre que cette tiédeur est plutôt bien partagée, s’époumonant, comme le montre de façon détaillée Sami Bargaoui, à dénoncer certaines « libertés » combattues par Ibn Tumert en son temps, aussi bien à Béjaïa que chez les Iwendajène d’Amizour, à Guenzet, sur le mont Boutaleb, à Sétif, dans le bordj turc de Zemmoura, chez les Oulâd Naïl, dans l’actuelle Tunisie… et même à Médine, c’est-à-dire aussi bien en territoire arabophone que berbérophone, citadin que rural, maghrébin qu’oriental.
·         33  Ligues, factions.
55.Ce qu’on a, par ailleurs, tendance à lire comme la confirmation de perpétuels conflits entre les soffs33, où il intervenait comme marabout intercesseur, et donc comme soi-disant élément extérieur à la société kabyle, nous semble aussi peu convaincant. Al Warthilânî, acquis aux Turcs (contrairement à son père, semble-t-il, qui refusait de faire la prière derrière un imam payé par la Régence), s’en va pacifier la Kabylie pour l’amener à l’obéissance, après une fetwa des ‘ulamas de Béjaïa, qui rendait cette mission obligatoire pour tout ‘alem. Ce qu’il décrit, ce sont les divisions qui touchent y compris les lignages maraboutiques et les zaouias dans un processus de reconfiguration, de renégociation de la médiation entre le pouvoir central et les sociétés locales, nous semble-t-il.
56.Ce qu’il négocie, c’est aussi, comme le rappelle Bargaoui, sa propre place dans le processus en cours. Il suffit de repenser à l’importance du comité d’accueil qui vient à sa rencontre à l’entrée de Béjaïa pour s’en convaincre. Il y a là cadi et caïd, mais il y a surtout, les descendants des Mokrani de Béjaïa, ceux dont l’aïeul a transporté sa zaouia du village d’Ama’dan vers la ville, à la demande des Turcs. Les Mokrani règnent depuis sur la karasta, ou exploitation des bois de forêt pour le compte de la flotte turque (Féraud 1868-1869). C’est dire que les enjeux tant matériels que symboliques sont fondamentaux dans la démarche de ce « réformateur ».
57.Ce qu’il nous donne à voir en tout cas, c’est un maillage plutôt serré du réseau des zaouias en Kabylie, à un moment décrit généralement comme celui où la naissance de la Rahmânya permet la naissance de cette région à l’universalité islamique.
·         34  Nous empruntons l’expression à Jacques-Jawhar Vignet-Zunz(1994).                                                                                     35  La bourgade. Remarquons que la notion même suggère une idée d’urbanisation.                                                 58.Qui dit réseau de zaouias, dit usages et circulation de l’écrit, points d’ancrage de cultures lettrées. Un de ces points d’ancrage, connu comme tel jusqu’à nos jours, est « beldat »35 Guenzet et plus largement le territoire des Ath Ya’la, où circule cet adage « Au pays des Béni Ya’la, poussent les ‘ulamas, comme pousse l’herbe au printemps ». Certains auteurs, comme Al Mehdi Bouabdelli, n’hésitent pas à comparer le niveau d’enseignement chez les Béni Ya’la à celui de la Zitouna et des Qarawiyine.                                                                                                                   ·         36  Le terme signifie montagnards, mais dans ce cas, comme le terme de Qbaïl, il devient ethnonyme.
59.Comment et pourquoi de tels points d’ancrage se constituent-ils en montagne ? Jacques Vignet-Zunz nous semble avancer un modèle explicatif tout à fait applicable à la Kabylie. Étudiant la communauté des Jbala36 du sud-ouest marocain, il évoque :
·         37  Pôle, degré supérieur dans la hiérarchie soufie de l’intercession.
– la proximité « d’une vieille couronne urbaine remontant souvent à l’Antiquité et en tout cas à l’époque de l’étroite communication avec Al Andalus » ;
– le recours à ces montagnes comme lieux de refuge par des princes idrissides abandonnant Fès dans des moments de crise ;
– la retraite qu’y opère le
 « Qutb »37 Mulay Abdeslem Ben Mechich « introducteur du mysticisme au Maroc » ;
– le
 djihad et la littérature à laquelle il donne lieu, face aux Portugais et aux Espagnols, et qui permettra l’ascension de nouveaux chérifs, avec attribution « d’Azibs » et de « Horms », fiefs comportant des mesures d’exemption d’impôts.
60.S’appuyant sur les travaux de L. Fontaine (1990, 1993), Vignet-Zunz (1994 : 206) propose aussi une explication économique des origines de l’implantation de l’écrit dans ces milieux montagnards : « … [i]l semble y avoir des indices concordants, de part et d’autre de la Méditerranée (et parfois assez loin en arrière de ses rivages), non pas d’une affinité précise entre l’altitude et l’ascèse de l’étude, mais d’une intense relation, en un temps T, entre une montagne et des cités proches (née d’un enchaînement de facteurs, notamment la demande forte, à un moment du passé de ces régions, de produits de la montagne ou en transit par la montagne…) créant les conditions d’une implantation de l’écrit là où on ne l’attendait pas nécessairement. »
·         38  El Bekri signale déjà au xie siècle la forte présence d’Andalous à Béjaïa. Par ailleurs, les Hamma (...)·         39  Pour rappel, une des figures de ce djihadétait Abu Yahia Zakaria Az-zwawi.
61.De la couronne urbaine datant de l’Antiquité à l’étroite communication avec Al Andalus38, à l’usage des montagnes kabyles comme refuges par des élites de tout ordre durant les périodes de crises ou de guerres, à la présence d’un Qutb (le saint Sidi Boumédiène), à l’existence d’une littérature du djihad face notamment aux Espagnols39 et à l’émergence alors de nouveaux chérifs, tout correspond à la situation de la Kabylie pré-ottomane. Tout, y compris la relation économique impliquant un usage de l’écrit.                                                                                                                  ·         40  Il y a fort à parier que les zouaves qui servent le bey de Tunis suivent des voies tracées par leu (...)·         41  « Dans les montagnes, en effet, se trouvent presque toutes les ressources du sous-sol méditerranée (...)·         42  Le recours à des termes arabes de amin, amin el umana, tamen(secrétaire, super-secrétaire, garant (...)
62.Si l’on admet que la montagne kabyle, comme les autres montagnes de la Méditerranée, a été « indispensable à la vie des villes, des plaines » (Braudel 1990 : 50), que la faim montagnarde a été « la grande pourvoyeuse de ces descentes… [permettant de renouveler] le stock humain d’en bas » (ibid. : 52), que depuis le Moyen-Âge au moins, elle fournit à l’État à Tunis ou à Béjaïa des migrations militaires40, car « toutes les montagnes, ou peu s’en faut, sont des “cantons suisses” » (ibid. : 53, 445 n. 116) ; si tout simplement l’on admet que la Kabylie a eu ses villes, ses liens aux villes et en particulier à Béjaïa, Dellys, Alger (et des villes de moindre importance, qu’on hésite à considérer comme telles), où elle exporte son surplus humain, ses matières premières venues de ses mines et carrières41, où elle écoule les ressources décrites par Al Idrissi pour le Moyen-Âge par exemple, comme elle écoule à partir du xviiie siècle le bois de ses forêts pour les besoins de la flotte ottomane. Si l’on admet que les assemblées villageoises sont peut-être la preuve du contraire de ce qu’on leur a toujours fait dire, à savoir, qu’elles sont justement la preuve de l’existence d’une relation en mutation à l’État et à d’autres formes de centralisation politique (ce dont l’arabisation des noms de fonctions dans les Tajmaεt, pourrait témoigner)42 ; que le miracle « Rahmânya » est un moment certes important mais qui se situe dans une histoire religieuse antérieure longue de plusieurs siècles, un autre rapport peut alors aussi être dépoussiéré : le rapport à l’écrit.
63.Piégés par les effets du « mythe kabyle » qui divisent les lecteurs de la Kabylie en deux grosses catégories, ceux qui la surévaluent et ceux qui la sur-dévaluent, nous avons bien du mal à objectiver nos interrogations les plus élémentaires et à ne pas développer des « attentes » contradictoires envers cette région, attentes conformes aux représentations positives ou négatives dépréciatrices, comme le souligne Kamel Chachoua (2002).
64.S’accorder à dire, par exemple, en reprenant un modèle de Jack Goody, que la Kabylie a été un lieu de « scripturalité restreinte » interpelle, tant il nous semble tomber sous le sens : il est normal qu’un pays montagneux, rural, ne soit qu’un lieu de scripturalité restreinte avant le xxe siècle, avant la démocratisation de la scolarité somme toute bien récente à l’échelle universelle. Peut-être faut-il prendre les choses exactement dans le sens inverse et s’étonner positivement que, dans de telles conditions, il ait pu exister une culture lettrée et une pratique de l’écrit, dont nous avons tenté d’esquisser plus haut une explication des origines probables et qui reste à évaluer précisément et objectivement.
65.Plusieurs pistes s’offriraient aux chercheurs qui tenteraient cette évaluation. Si l’on s’en tient au Guergour, on peut par exemple noter l’étonnement des rapporteurs chargés de rédiger les procès-verbaux de la délimitation des territoires des différentes tribus de la commune, lors de l’entrée en application du Sénatus-consulte. Ces rapporteurs relèvent que la quasi-totalité des propriétaires ont des actes écrits et des contrats rédigés le plus souvent par des lettrés locaux ou par des cadis.
66.On peut rappeler tout l’intérêt de la bibliothèque du Cheikh Lmuhub, exhumée par les chercheurs de l’université de Béjaïa, Djamel-Eddine Mechhed et Djamil Aïssani, au milieu des années 1990. Non seulement le fonds étonne par la quantité des manuscrits (près de 500) qui le composent, mais aussi par leur variété. On y trouve entre autres, comme le soulignent les deux chercheurs, les traces d’un système de prêt et d’échange avec les ‘ulamas des localités environnantes. On y trouve un fonds de correspondance et même un manuscrit en berbère, outil pédagogico-ludique destiné aux enfants et servant à faire la transition entre l’usage de la langue maternelle et celui de la langue d’enseignement ; un cours de langue syriaque, des chroniques historiques locales à côté des classiques traités de fiqh, adab, astronomie, mathématiques, botanique, médecine, etc.                                                                                                                    ·         43  Le rôle de l’expansionnisme espagnol dans une telle universalisation nous semble évident.
67.On peut aussi s’arrêter à l’usage curieux dans un tel cadre spatio-temporel, d’un terme spécial pour désigner les bibliothèques aussi bien dans le sens de meuble destiné à ranger les livres, que dans le sens (chez les cheikhs les plus aisés) de pièce consacrée aux livres et à l’étude. En effet, à Guenzet certaines familles recourent au terme de Tarma (avec un t emphatique) pour nommer la bibliothèque. Or voilà un mot qu’on retrouve en usage de l’Irak au Pérou43 dans des significations proches de meuble ou de pièce ou maison en bois, dont l’origine semble latine (tarum : bois d’aloès) et qui, dans l’arabe marocain, signifie aussi « placard à rayons et deux battants pratiqué dans l’épaisseur du mur » ou « grande armoire ».
·         44  Village, hameau.
68.Que ce mot soit arrivé dans les bagages de réfugiés andalous ou de lettrés béjaouis (Al Warthilânî, par exemple se dit descendant du saint Sidi Ali Al Bekkaï et est lié par des alliances matrimoniales aux descendants de Sidi Mhand Amokrane, saint patron de la ville), ou encore par des acteurs locaux dans leurs échanges ou déplacements ; qu’il soit le fruit d’échanges avec la garnison espagnole, peu importe. Il constitue de toute façon un indice de l’existence d’un lien au monde, au-delà des frontières de « Taddart »44.
69.Ce lien au monde et à la ville est confirmé par cet art du Guergour, art de synthèse entre les formes géométriques berbères et les motifs arrondis et floraux, qui a surpris Lucien Golvin (1955) dans son étude sur le tapis de cette région. Si Golvin privilégie l’influence de la lointaine Anatolie, Louis-Robert Godon (1996), dans son étude sur les portes et coffres des Ath Ya’la, regarde vers Béjaïa, dont le nom est d’ailleurs porté par des pièces de ces produits (serrures et cadenas de Bougie), ou vers Tunis et le sud de l’Espagne !
70.On peut encore lire un indice de ce lien dans ces épées retrouvées dans la mosquée de Tiqnicheout et rapportées, selon Féraud, par des guerriers des Ath Ya’la qui avaient participé à la défense de la ville côtière de Jijel contre une attaque normande. Il est dans l’existence d’une communauté d’orfèvres juifs à Taourirt n Ya’qub (la colline de Jacob) qui ne quittent les lieux qu’en 1850 (Bel 1917 cité dans Godon 1996 : 90). Il est aussi dans les chansons et poésies populaires et pour Béjaïa dans les paroles de Chérif Kheddam « Bgayeth telha, d erruh n leqbayel » (« Béjaïa est belle, elle est l’âme des Kabyles ») !
·         45  Une histoire de la colonisation, de la genèse du nationalisme algérien ou encore l’histoire des lu (...)                             46  La lecture d’un des premiers auteurs coloniaux, Joanny Pharaon (1835), nous conforte dans cette id(...)
71.Il faut simplement se retenir de ne voir dans ces montagnes qu’un vaste réceptacle et regarder leur lien à l’extérieur dans une logique d’interaction. Ainsi, en évoquant ici l’Andalousie, nous n’entendons nullement, comme le veut un usage trop courant, affirmer l’idée que tout principe actif et fécondant est forcément allogène, ni conforter l’image d’un Maghreb ou d’une Kabylie dont la compétence ne dépasserait pas la capacité d’assimiler et de reproduire des apports extérieurs.
 Si toutes ces nuances et bien d’autres sont introduites, on peut alors mieux distinguer ce qui ressort d’une histoire politique contemporaine45 et ce qui ressort de « permanences » culturelles. Ainsi la revendication moderne de laïcité ou de sécularisation par exemple pourrait s’affranchir de la référence à une prétendue tiédeur religieuse traditionnelle. Elle ne pourrait qu’y gagner, car à nos yeux, elle n’a pas besoin de justifications par une présence endogène ancienne (osons le mot : traditionnelle), pour exister aujourd’hui et être légitime, d’autant qu’une lecture fine de l’histoire de ce stéréotype pourrait nous montrer qu’à l’origine il pourrait s’agir d’un moyen de stigmatisation par le pouvoir central turc pour justifier son action contre la région46. Cette revendication a encore moins besoin d’être portée comme un signe distinctif de la Kabylie par rapport au reste de l’Algérie ou du Maghreb pour être audible, ce qui, bien entendu, n’est nullement à lire comme la négation de toute singularité.
par Nedjma Abdelfettah Lalmi

REPRISE PAR L.OUALI AOUT 2019





La parabole du vert et du bleu, « ccah yahwa-yagh »

NB : Ce texte, par son contenu, va peut-être fâcher certains d’entre vous, qu’ils trouvent ici toute ma sympathie et ma b...