mercredi 7 janvier 2015

À ma mère, à toutes les mères


                                    « ALDJIA NITH BAHMED »         

— La sœur aînée, la confidente, et comme, disait l’autre, le mythe ancré dans la mémoire des Kabyles, celle qui avait l’organe du courage et de la bravoure, le cœur (oul) et l’organe de l’affection et de l’amour, le foie (thassa). Aldjia, la battante, l’anti-héroïne de son passé récent ; malgré la douleur, les regrets, et les chagrins tissés tout au long de sa vie, une vie, échelonnée, reportée, pour des lendemains meilleurs et qui ne furent jamais. 
Elle qui a vu, son mari emporté par le bateau de l’exil, puis enterré, au nom d’une raison, d’un idéal, la révolution. Elle a tellement souffert et tellement enduré, qu’elle refusa difficilement, une seconde séparation, de ses deux fils, appelés alors, par l’état algérien, le garant des enfants de chouhadas, pour les envoyer étudier et s’instruire à l’étranger. 
Au mois de mars 1955, NNA Aldjia, debout au seuil de la porte, suivait du regard une silhouette drapée d’un burnous blanc, frêle et longiligne qui disparaissait à travers arbres et buissons, du  maquis d’Ighdem, Aldjia venait de donner des soins à l’un des chefs historique de l’armée de libération nationale, le lion des montagnes, le colonel Amirouche, blessé à l’épaule droite à la suite d’un accrochage avec un groupe de parachutistes cantonné au  poste fixe d’Ith Hafed où une bataille a eu lieu sur le versant nord de la montagne de Thilla.

La veille, au  crépuscule, deux ombres qui se dirigeaient vers l’agglomérat de maisons et que l’on distinguait à  peine de l’épais brouillard qui enveloppait le village, constitué alors, de trente-cinq maisons, l’une des  ombres semblait avoir de la peine à marcher, s’appuyant sur l’autre et se déplaçait difficilement, les silhouettes se rapprochaient des maisons, au fur et à mesure que le brouillard se dissipait, laissant apparaître des visages reconnaissables.
Son mari L’Mouloud Ouali et le colonel Amirouche, il tenait de sa main gauche l’épaule droite qui pendait, un léger filet de sang ruisselle le long de son bras, une blessure sans gravité. 
Amirouche avait fait de la localité d’Ighdem et de ses environs son bastion, une base arrière logistique, Amirouche disait souvent :
— « Cette région a beaucoup donné, on le lui rendra, à l’indépendance si nous sommes toujours parmi les vivants ». 
Amirouche enjambait d’un  trait le monticule, et s’en alla en empruntant un chemin qu’il semblait parfaitement connaître. De loin apparaît un point blanc éclatant ; brillait de  mille  feux au  soleil, le burnous que ma mère lui avait donné, et que lui modestement refusait de prendre, mais finit par accepter après insistance de mon père. 
Aldjia Bahmed est née le 10 mars 1920, à Ikhligene l’aînée d’une fratrie de sept (7). Sœur à 3 filles :
-Fatima (1 922),- Tama (1 934-2 013), et -Djamila (1 942-2 013) et de quatre (4) garçons : -Layachi (1935-1957), -Abdelkader (1 930-2012), -Mouloud (1 939), et -Khaled (1 944). Fille de Lakhder et d’Issaoune Menana. Mère de 05 enfants, uniquement des garçons :
-Saïd,- Yahia, -Abbés,- Boubekeur, et -Lyazid, et d’une fille morte en  bas âge.
L’épouse du  chahid l’Mouloud Ouali tombé aux champs d’honneur en 1959. Belle fille de Zenati  Ouardia  Nith  Chergui.

Elle se marie très jeune en 1935, elle avait alors juste 15 ans, elle n’a eu droit au  bonheur, que durant les premières années de mariage, car elle avait commencé très tôt à s’occuper seule de sa petite famille, son mari n’était presque jamais présent. Parti sous d’autres cieux à la recherche de travail, puis finis par incorporer l’armée de libération nationale jusqu’à sa mort. 
Pendant tout ce temps, elle prenait difficilement et patiemment soin de ses enfants avec courage, à l’image de toutes les veuves de chouhadas. Son gagne-pain était le travail de la terre et entre-temps elle parvenait à acquérir une machine à coudre et s’initia doucement, mais sûrement à l’apprentissage des  principes de la couture ;elle confectionna, ainsi, des robes et des pantalons qu’elle vendait ou troquait contre d’autres biens, elle s’en sortait admirablement bien, en arrivant même à faire quelques économies. 
Car, le jour, ou son mari était de retour de France pour des vacances ;et par la même occasion, il décida de reconstruire leur maison.une fois celle-ci achevée, il rassembla les maçons
autour d’un repas, il leur parla de son impossibilité de les payer, et qu’il lui fallait du temps pour rassembler tout l’argent nécessaire à la construction.
Quelle fut sa surprise, lorsque le beau-père présent parmi les invités sort une liesse de billets, en expliquant que c’est le résultat des  efforts de sa bru, en économisant chaque centime de son labeur.le mari heureux et fier de son épouse, paya les maçons, rubis sur ongle. 
NNA  Aldjia, elle, qui a vécu la période noire de 1939 à 1945 ou la faim, la famine, le chômage et la misère semblaient résumer la condition sociale de la population algérienne colonisée par la France, une population surtout agricole, et de  plus dans une Période de guerre, de sécheresse et d’invasion de criquets.les gens souffraient de la faim, certains ont dû se rabattre sur le caroube et le gland et quelques plantes sauvages comestibles comme seules nourritures. 
Une  fois, NNA  Aldjia, tard, dans la nuit, assise, dans la cour de la maison, désespérée et affligée par tant de morts, le grand dénuement et l’adversité, lève les mains vers le ciel, elle prie, elle sollicite le seigneur la bénédiction, et l’assistance afin de mettre un terme à la misère, et d’asseoir ainsi sa bonté et sa miséricorde sur terre.

Soudain, le lourd silence fut rompu par un éclair aux mille couleurs ;illumine le ciel dans sa totalité, on aurait dit le jour, ou un feu qui embrasait la montagne « Adrar ». Prise de panique, elle rentre chez elle et se met immédiatement au  lit, et se blottit contre ses enfants. 
Le lendemain matin, de bonne heure, elle frappa à la porte de la voisine, la doyenne du  village, à quelques paquets de maisons, à qui elle raconta toute l’histoire de la veille avec force détails. Celle-ci, toute subjuguée et conquise, s’empressa de répondre :
— « oh, ma fille, tu as été témoin d’un événement unique en son genre, une chance inouïe d’en tirer profit et d’exaucer tes vœux ;heureuse est la personne qui profitera des grâces de cette nuit, la nuit d’avant, quand le ciel a pris feu et qui s’ouvrait, cette nuit-là tu as assisté à la nuit du destin, ou la nuit de la puissance. (Leilet el qadr) ». 
Aldjia était déjà veuve à l’âge de 39 ans. Le jour où son mari fut abattu du  côté de Lafayette (Bougaa), les soldats français du  groupement du 4e régiment des  dragons stationnés à Guenzet, furent irruption dans le domicile familial ; malmenèrent femmes et enfants, puis fouillèrent la maison de fond  en  comble à  la  recherche de documents et d’armes, ils défoncèrent portes et brisèrent fenêtres et cassèrent vaisselles, ils poussèrent la fouille et leur haine à l’extrême en jetant et en mélangeant sur le sol semoule avec l’huile, café et lessive et tout ce qui était à portée de main.

L’officier ; accompagné d’un suppléant interprète, qui traduit les propos du  soldat, demande à Aldjia, photo en main.
— « Tu connais cet homme ? » dit l’officier
— « Bien sûr, c’est mon mari » répond-t-elle avec un air de fierté ?
— « On a mis fin à ses jours » ajoute l’officier. » Il est
mort, il nous a causé beaucoup d’ennuis", ajoute le harki. 
Aldjia manifesta ses émotions en faisant jaillir de ses entrailles des cris stridents, aigus et modulés que les femmes kabyles savent bien faire :
 Le youyou, et finis par cette phrase :
— « Tant mieux, il est mort en homme ».
Le harki irrité par la scène et sans hésiter, et d’un revers de la main, la jeta à terre.

À l’indépendance, pendant que d’autres défilaient et criaient leur joie, elle, pleurait sur son sort et ce que lui réservait le destin. 
Avec sa force intérieure et son fort caractère, elle endurait, s’accrochait, continuait sans  jamais abandonner en dépit des maladies, et de la fatigue, telle une lionne, elle survit avec ses enfants, tant bien  que  mal avec la misérable pension des moudjahidines à un dinar par jour. 
Elle était témoin de l’accident terrible de son fils cadet, victime de l’explosion d’une grenade destinée au père et qui n’a pas épargné le fils, lui causant un raccourcissement du membre inférieur droit après de longs mois d’hospitalisation juste à l’aube du jour de la victoire en 1962 ; puis comme si
le sort s’acharnait sur elle, un malheur en suit un autre, un peu plus tard, un autre accident survient sur le plus petit de ses fils aussi grave que le premier. 
Là, où va l’affligé ; trouve funérailles. Elle a vu, ensuite mourir sa belle-mère, Ouardia Uchergui (1 884-1 962), dans ses bras, sa mère Issaoune Menana, en 1970  à l’âge de 65 ans, son père Lakhder, en 1981  (1 889-1 981), âgé alors de 92 ans, son beau-frère Ali Ouali (1920-2005) et tout récemment ses deux sœurs Tama et Djamila et son frère Abdelkader (1 939-12 012).

Je ne l’ai jamais vue verser une larme, et pourtant toutes les femmes pleurent sans raison, elle le faisait sans  doute en cachette, car après tout ce qu’elle a enduré, elle a fini par perdre ses yeux et devint aveugle à jamais. 
Ne dit-on pas que la beauté d’une femme doit être dans ses yeux, car c’est la porte d’entrée de son cœur, le lieu où l’amour réside ? 
Elle, qui disait, c’est mon beau-père Saïd ; que dieu ait son âme me répétait assez souvent cette phrase : « Ma fille, tu survivras, et tu finiras par manger le pain bénit de tes enfants ».


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