mercredi 13 juillet 2022

La parabole du vert et du bleu, « ccah yahwa-yagh »

NB : Ce texte, par son contenu, va peut-être fâcher certains d’entre vous, qu’ils trouvent ici toute ma sympathie et ma bienveillance. Je tiens à vous vous assurez que je n’ai aucune animosité envers mon village natal, loin de là, c’est plutôt, mon dévouement et l’amour, qui résident dans mon for intérieur qui me fait parler ainsi.
Hier, en cette fin de mois de mai, il a plu sur mon village. Un nuage, un Cumulus, porteur de pluie, d’orage et d’averse, annonciateur de mauvais temps, s’est égaré dans le ciel bleu de mon village. Une précipitation de grain de bonheur et de joie étale, alors, ses immenses traînées sur le sol desséché et les cœurs emprisonnés.
Puis d’un coup, le ciel s’est éclairci, plus bleu que jamais et la terre plus verte. Mon petit doigt me dit alors, que demain, et les jours suivants, ces deux couleurs, le vert et le bleu seront dominants sur tout mon village et même au-delà.
Le beau temps, qui cause une vive impression et suscite de l’admiration, sur les beaux visages des vieux et des vieilles, dans les esprits des jeunes de mon village, ne sera désormais que désolation et amertume. Ici, sur ce sol béni, avec ses montagnes, mamelons et valons, arrosé de sang de martyres, qui ne vit que par son identité et sa beauté, ne sera pas aussi bleu et vert qu’autrefois. Et pourtant, le vert, couleur d’espérance, caractérisée par la vitalité et l’abondance. Le tiède printemps, la verte saison, qui met du baume au cœur et de la sève à l’esprit. Il est également de paix et d’harmonie. Ne dit-on pas que dans la nuit, les bois sont noirs, là où se meurt l’espoir vert quand se lève le jour ! Ne dit-on pas que le bleu symbolise le rêve, l’idéal. C’est l’eau claire, limpide et profonde. Ce bleu, que je retrouve dans le sourire, dans les yeux, dans le regard, de chaque montagnard, avec une nuance de naïveté et de bravoure.
Et quand vient un temps, un autre temps, lorsque la pluie laisse trop de vert et de bleu. Quand le vert nature, est remplacé par les casques verts, bérets verts, hommes verts, ou hommes kakis, le vert, devient alors, poison, réprimande, dur et sans ménagement. Un repère rassurant, mais aussi objet répressif, le costume de la violence légitime !
Quand le bleu nature, vire au rouge, devient, un barrage, un stop à tous les coins de rues, remplacé par des hommes en bleu avec un semblant de vœu à la Vierge Marie ! Quand le bleu de l’horizon devient un bâton pastoral, le bleu vire au traumatisme, il génère un semblant de sécurité et d’endormissement.
Depuis la nuit des temps, notre vert, notre bleu n’a été qu’espérance et libération, qu’est-ce qu’un montagnard ? c’est une montagne qui brave le vent, l’ouragan et la foudre ! Le nid ou naissent les rameaux de liberté et de l’insoumission . Il aime et vit au grand air et c’est héréditaire. Il ne peut pas être autrement, il est fier d’être à son tour, fils et petit fils de montagnard.
Ne croyez jamais à ce que vous voyez, les mirages sont trompeurs car, on veut vous faire croire à tout prix, que ce que vous voyez avec vos yeux grands ouverts n’est pas du tout ce qu’eux voient ! Ils dirigent insidieusement votre regard là où ils le désirent. Ils ont toute la capacité et le loisir de faire le beau et le mauvais temps.
Mon pays natal a évolué en régressant ! Voyez-vous, les routes existaient depuis 1920, la poste aussi, l’état civil depuis 1890, Guenzet comptait 30,000 habitants avec son dispensaire, son infirmier et son marché hebdomadaire, ses écoles pour garçons et filles, depuis 1954 ! alors qu’à présent, il peine à compter 2500 habitants ! ni hôpital, ni usine, ni banque, ni culture, ni sports, ni moyens de formation digne de ce nom. Des bâtiments, plutôt des cages à poules, se dressent comme une plaie béante, déformant hideusement le paysage urbain. À l’intérieur s’entassent pêle-mêle, et se couvent insidieusement, les révoltés, les anti-conformistes, les valets du régime et les fossoyeurs de l’identité.
Chez moi, dans mon pays natal, on ne parle plus la langue des ancêtres, les enfants et mème les adultes, surtout ceux qui viennent des grandes villes, ne font aucun effort pour parler et faire parler leurs enfants en kabyle! Sans enseignement, cette langue pourrait disparaître et avec elle disparaîtra notre culture . Parler plusieurs langues, oui, mais parler la sienne, c’est mieux.
Et pourtant, jadis, Guenzet était le bastion de la révolution et un centre névralgique, commerciale et économique de toute la région, aujourd’hui, le pari est perdu, et l’espoir anéanti. Même, nos naissances sont enregistrées à Harbil et notre approvisionnement se fait à Béni Ourtilane  ou à Zemmoura !
À Guenzet, il n’y a plus de boulangerie, ni boucherie permanente, moins de dentiste, s’il arrive qu’on ait une rage de dent, il faut prendre son mal en patience et attendre le lever du jour pour aller 40 kilomètres plus loin, là où la civilisation est présente.
Et j’emprunte volontiers cette expression d’un chanteur : Quel est ce montagnard qui mange à sa faim ? son potager, c’est le marché, son bois, la bouteille de gaz, sa chèvre, c’est le sachet de lait ! pourvu qu’il y ait de l’argent !
Et pourtant, ce n’est ni les moyens, ni les compétences qui manquent ! Guenzet est jalousée pour ses hommes et femmes, de grandes notoriétés et d’une richesse scientifique, artistique, reconnue par tous. Mais comme dit l’adage : « nul n’est prophète en son pays ». Mon pays natal ne reconnaît pas les siens !
Demain, mon village, mon beau village, mon port d’attache, ne sera qu’un agglomérat de maisons, de personnes, de simples coquilles vides de toute identité et du repaire ancestral.
J’ai du mal, de la tristesse,
De l’émotion pour mon pays,
Mon pays, bleu et vert,
Pauvre comme ses trésors,
ingrat comme un souci,
Froid comme la mort.
En quoi mon village a évolué ? Tout simplement dans le vert et le bleu !
Ce jour-là, le jour de mon départ, debout sur le perron de la montagne qui domine mon village qui s’étale comme un collier de perles, loin de tout, blotti entre montagnes vertes et ciel bleu. Après la pluie, j’ai vu beaucoup de vert et de bleu. Des bleues et des vertes, de toutes couleurs ! Et mème des vertes et des pas mûrs.
Ce jour-là, j’ai perdu toute notion de couleur, et à force de voir, du vert et du bleu, désormais, je suis devenu daltonien.
Nous sommes tous, responsables de cet état de chose, les intellectuels marginalisés, les bonnes intentions et honnêtes banalisées, on proclame la gloire autrui, en oubliant les siens, on légitime les autres cultures contrairement à notre vœu.
Et le comble dans tout ça, quand on le crie à tue-tête, ma communauté me répond : « ccah yahwa-yagh ! ».
L.Ouali in mai 2022,

jeudi 24 février 2022

Le petit potager de ma mére !

De son vivant, ma défunte mère avait un carré potager, un petit coin de jardin réservé à la culture de légumes et certains fruits .
Elle l’a aménagé dans la maison nouvellement construite. Une manière de s’occuper ; remplir son temps libre, mais aussi en souvenir à ce qu’elle était avant, quand elle fut paysanne, le lien ombilical qui la liait à la terre. Elle aimait ardemment bêcher, biner et retourner la terre quand le soleil rasait les murs. Planter et arroser faisaient alors sa grande joie. Dans ce petit carré bien entretenu, bien rempli, bien labouré, se formaient par miracle des plaques brunes et verdoyantes de succulents légumes et fruits, tomates, poivrons, haricots, laitues, radis et même parfois des fraises ! Entourés de deux figuiers, une vigne ! Elle avait aussi des poules, une souche locale ; douces à plumages variés. Avec leurs crêtes rouges bien visibles. Ces drôles de dames à l’allure rigolote, qui aiment gratter la terre, Libres de leurs mouvements, elles pondaient leurs œufs n’importe où. D’ailleurs les pontes se faisaient directement sur le sol ; dans des nids non identifiés ; sous la bétonnière, dans un tas de bois, dans des touffes d’herbe ! Ces poules peureuses et mouillées, nous ont bien régalés avec leurs produits très protéinés, le jaune bien brillant et d’un agréable goût. Les enfants ont tous profité de cette manne et ma mère en mangeait deux chaque matin ! Dans ce beau monde de volaille, trônait en maître incontestable un bel animal, robuste et intouchable. Le roi de la basse-cour, le coq la crête bien rouge, barbillons de plumes aux couleurs chatoyantes, mais agressif, surtout au printemps. Un véritable chien de garde. Il attaquait tout inconnu qui osait pénétrer sur son territoire ! Mais bizarrement, jamais ma mère ! Il est recommandé de faire attention aux yeux et aux talons, car ses éperons sont particulièrement dangereux Le comble ! Les visiteurs s’annonçaient à grands cris avant de rentrer de peur de rencontrer le vilain coq ! Le pauvre gallinacé n’a pas survécu, il a fini par passer par le fil de lame aiguisée de la main du frangin, car il avait pris pour cible son fils âgé alors de sept ans. Et pour combler le vide laissé par le blanc-bec, il est vite remplacé par un vrai chien « Babah » qui est resté fidel jusqu’à sa mort. Il y avait aussi cette bête magnifique, « Biquètte », avec sa barbichette, une chèvre drôle et savante. Ramenée du bled, elle s’est vite adaptée à son nouvel environnement. Elle n’était pas du tout avare, elle nous offrait gracieusement son produit. Dans tout le voisinage, il n’y avait pas un enfant, un malade, un proche qui n’a pas été abreuvé par son produit riche en calcium et phosphore. Et nous, on n’achetait presque jamais, ni lait, ni poudre de lait. Elle venait bégueter sous la fenêtre chaque fois qu’elle avait faim. Parfois, elle venait s’asseoir à côté de ma mère, quand celle-ci entamait une discussion avec la voisine d’en face. Tandis que les deux dames gesticulaient de tout et de rien, la Biquètte faisait de même en mâchant constamment ! Comme si elle les accompagnait dans leur discussion. Elle était mignonne et sage, elle est morte juste après la mort de notre voisine. Trop peinés par sa perte, on l’a enterrée sous le vieux chêne à côté du jardin. Il avait également deux oies rustiques, bien grâces et grasses. Bonnes vigiles, avec leurs cris stridents, elles cacardaient si fort qu’on les entendait à mille lieux. On a bien profité de leurs œufs sans jamais profiter de leur chaire, car elles sont mortes d’obésité. Les pauvres anatidés, elles étaient tellement grossières et charnues qu’elles ne pouvaient se déplacer ! Pour son jardin, ma mère trouvait en la bouse de vache, le fumier de volaille et de chèvre, un simple et excellent engrais. Elle l’étalait dans un coin de son potager et le laisse sécher pendant plusieurs mois, voire des années et y ajoutait au fur et à mesure les feuilles mortes et déchets des arbres. Les récoltes étaient alors plus abondantes et les plantes plus saines. En été et pendant les grandes chaleurs, quand les plantes arrivaient à maturité avec leurs fruits bien fermes et juteux on reconnait alors les personnes à leurs œuvres et les choses à leurs résultats. Avoir la certitude de jouir du fruit de sa terre, de son labeur ; n’était-il pas les plus puissants encouragements qu’on puisse trouver à les faire valoir ? Le piment, le poivron, associés à l’aubergine et à la tomate représentaient les carrés les plus appréciés. Ces plantes, allongées, rondes, de couleurs diverses, du vert au rouge sang ! Aux grappes de tomates suspendues par leurs nombrils offraient aux visiteurs et aux amoureux de la nature, une belle œuvre picturale ! Mon défunt oncle y trouvait son bonheur. Durant tout l’été et pendant les grandes vacances, il ne consommait que poivrons et tomates, cueillis et choisis minutieusement par ses soins. Le piment ou le poivron de couleur verte, grillé sur la braise avec des tomates, ensuite le tout est pilé, écrasé et généreusement arrosé avec de l’huile d’olive. Servi avec une galette toute chaude, était son met de choix. C’est une salade qui constitue en été comme en hiver un plat principal qui se dégustait à tout moment. C’est à partir de là que ma mère nous faisait aussi des conserves et des plats pour l’hiver. Sauce tomate maison, tomates, poivrons et légumes farcis surgelés. On les retrouvait avidement en hiver lorsque les étales du marché étaient aussi sombres que le ciel d’hiver ! Nos mères, nos grands-mères, en bonnes apothicaires, elles savaient doser, mesurer les ingrédients. Elles donnaient le goût du jardin à nos plats, une surprise à chaque bouchée, saveur et mélange savant du goût, texture, de la bonne cuisine d’autan ! Ah ! Nostalgie quand tu nous tiens ! Lyazid Ouali janvier 2022

La parabole du vert et du bleu, « ccah yahwa-yagh »

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