lundi 15 juin 2015

Idris,extrait du livre "thirga unebdhu-rêves d'été -


idris,le troubadour
Ma jeunesse, je l’ai passée à gambader à travers monts et rivières, jusqu’aux lointaines plaines des « arabes » du coté d’El Hammel à Bou Saada, j’étais encore adolescent quant j’ai posé pieds pour un temps dans la zaouïa. Là où des hommes enseignaient les sciences et la parole de Dieu.
Ce jour-là toute la maisonnée s’était rassemblée pour me tapoter tantôt sur le dos,tantôt sur l’épaule pour me souhaiter le bon courage, moi qui n’avait jamais été plus loin que dans mes rêves, et me voila pousser à devenir homme avant l’heure, ce qui signifie être responsable et libre.
C’est aussi,ce jour-là que j’ai compris ce que c’est d’être responsable de ses actes et capable de décider, mais je sentais au fond de moi-même, que je n’avais aucune maîtrise sur mon destin.
Voyez-vous, je n’avais rien demandé, aux autres, je veux dire ma mère, mon grand père, et mon père qui était toujours absent, comme si je n’en avais jamais eu. Ils avaient décidé pour moi, de ce que je devais faire et là où je devais aller.
Ce soir là, ma mère me montrait du doigt la doublure de mon unique veston sur laquelle elle s’obstinait à recoudre après avoir inciser une entaille, en cachant à l’intérieure quelques billets de banque pour qu’ils ne soient pas volés !cette veste ne me quitta jamais durant tout mon séjour aux pays des dunes, collée à moi comme une seconde peau.
Je ne savais rien de ce qui m’attendait à cet endroit, je fus au début surpris de ses bâtisses qui rappelaient quelque peu, les maisonnettes de la Kabylie, mais celles-ci avaient quelques choses de particulier, elles communiquaient entre elles par d’étroites ruelles, traversées par de sortes de vérandas suspendues et qui reposaient sur de vieux troncs d’arbres formant ainsi un tunnel qui apporte abri et fraîcheur.
Le village d’el Hamel, est cerné par des montagnes de tous les cotés, et la zaouïa constituée d’une mosquée, d’une école coranique, de la « qoba » le mausolée et d’une auberge pour y recevoir les étudiants, des voyageurs et des mendiants. Telle une forteresse, elle s’élevait sur le mont Omrane,et étend toute sa masse imposante sur la rive gauche de l’oued Bou-Saada. Mohamed Belkacem, le fondateur des lieux à la tête de la confrérie la plus puissante du pays, décéda en 1897 et lègue son immense héritage à son unique enfant, sa fille Zeineb, vite récusée par son cousin Sidi Mohamed Belhadj et ses partisans, une femme à la tête d’une confrérie est un comble et une hérésie !
Lalla Zeineb, etait passionnée, audacieuse, et insoumise finit par triompher de ses ennemis et dirigea la zaouïa avec autorité.
En 1902, elle se lie d’amitié avec une jeune et belle européenne, souvent vêtue en homme et qui se faisait appeler Mahmoud Saadi, c’etait isabelle Eberhardt, une femme de lettres, juive d’origine née en 1877 à Genève,et qui menait une vie aventureuse en Algérie et au Sahara. Plus tard il écrira qu’elle ne s’etait jamais sentie plus proche d’une personne comme de Lalla Zeineb. Lalla Zeineb s’est éteinte en 1904, d’une crise cardiaque, après avoir longuement et courageusement combattu, non seulement l’administration française et ses supplétifs, mais avait également trôné majestueusement en tant que femme sur toute la confrérie de la zaouïa d’El Hamel.
Au village,j’avais passé d’abord le premier degré de l’enseignement à apprendre et à écrire sur des planchettes les lettres de l’alphabet arabe et quelques textes du livre sacré, le Coran, utiles à la prière, sous l’oeil vigilant d’un instituteur plutôt d’un répétiteur, formé lui aussi dans une des zaouïas, en miroitant sa longue baguette ,une badine de saule où d’olivier à la main, l’instrument du châtiment corporel ( la falaka),une sorte de punition barbare ,qui consistait à fouetter la voûte plantaire d’un élève pour des motifs parfois insignifiants .
J’avais gardé un souvenir traumatisant du cheikh du village, il possédait une force irrésistible, un regard ferme et terrifiant, des traits durs comme de la pierre, une démarche impassible, inflexible, et stoïque. Il jugeait et son jugement était sans appel, ses décisions irrévocables que nuls n’osaient contester.
Je ne comprenais pas cette soumission des adultes jusqu'à lui donner souvent raison, les pauvres, ils me faisaient pitié, eux-mêmes ne pouvaient s’absenter à la prière commune à la mosquée sans se justifier auprès du cheikh, et j’étais captivé par le pouvoir de persuasion, et de l’influence sociale qu’avait le marabout sur tout le village.
Se lever à l’aurore, les yeux encore fermés, et tout ensommeillés, le ventre souvent vide, rejoindre l’école coranique, avant de rallier, juste au lever du jour l’école classique. C’était dur, harassant pour des enfants pas du tout gâtés par la nature ,mal nourris, mal vêtus, turbulents, et récalcitrants souvent la conséquence d’une mère absente ou anxieuse,d’un père abusif ou exigeant. La vie dure, n’arrangeait pas les choses, peu de gens mangeaient à leur faim, et rares étaient ceux qui se permettaient un petit déjeuner.
« La falaka » cette pratique d’un autre age, était perçue autrefois comme normal est nécessaire en référence à des traditions culturelles justifiant des formes d’éducation autoritaires Par la force de la répétition, et la peur du châtiment, on apprenait par cœur les versets coraniques, sans vraiment comprendre le sens, mais à la langue on arrivait juste à avoir une connaissance rudimentaire de la lecture et de l’écriture, avec l’aide des aînés.
Ce n’est qu’après quelques années d’apprentissage,qu’on m’avait orienté vers la zaouïa d’El Hamel pour approfondir mes connaissances dans l’enseignement d’autres disciplines dont le fiqh(le droit),le tefsir (étude des commentaires du Coran) ,le hadith (tradition du prophète),et même l’arithmétique et l’astrologie.
La vie à la zaouïa, un mélange de Bédouin et de Citadin, imprégné d’une profonde spiritualité. Et ce mode de vie ne me convenait pas, moi plus que jamais habitué à ma campagne et aux grands espaces, au froid et aux flocons de neige, les couleurs et les odeurs du printemps, et les ruelles de mon village et ses pierres qui m’avaient vu grandir. Je me révoltais à l’idée d’être cloîtré entre quatre murs,et c’est à ce moment-là que mon comportement changea du tout au tout ,de l’enfant docile,soumis, et passif au rebelle ,désobéissant et sauvage.
Je retrouve ainsi ma vraie nature cachée, Je fuguais à la moindre occasion pour rejoindre mon espace vital, et immédiatement reconduis, mais rien ne m’arrêtais, et rien ne me faisais peur, ni les menaces de châtiment du cheikh, ni les remontrances du grand-père, moins les cris plaintifs et les lamentations de ma mère.
Hé ! Monsieur, Idris, vous avez beaucoup plus l’esprit à l’extérieur, que dans vos cahiers, allez, partez, retournez d’où vous venez, où allez là ou ça vous chante, va que dieu te bénisse.
C’était les dernières paroles du noble cheikh de la zaouïa, qui me fixait droit dans les yeux, un regard plein de tendresse et de compassion, accompagné un petit sourire attendri.
Moi, l’errance personnifiée, je retrouve enfin le chemin de la liberté après six longues années d’exil, me voila de retour pour donner plaisir à mon esprit vagabond. Je traînais dans les bois et les maquis en respirant avec délice et à plein poumon l’odeur alliacée du férule (uffal), la résineuse du pin d’Alep (azumbi), d’huile essentielle intense et herbacée du lentisque (tidekht), et le goût prononcé des jolies baies de l’arbousier (assissnu), je m’assis sur l’herbe et je regardais longtemps passer les nuages et les oiseaux. J’allais enfin à la rencontre de l’endroit où je retrouvais souvent ma solitude, le village était désert et les maisons qui abritaient voila des siècles toutes les familles de notre descendance étaient en ruine.
Il en restait plus rien, seul un caractère pittoresque du décor semble résister au temps, ainsi que les âmes désincarnées qui rodaient autour des maisons.
Et soudain les paroles de l’imam me reviennent instantanément à l’esprit : va mon fils va, là où ça te chante !
Tout semblait que comme si le cheikh savait, ou comme s’il avait eu une sorte de prémonition, car le faite de m’avoir donné congé plutôt m’a donné à réfléchir, et tout au long du chemin de retour je n’avais pas cessé d’y penser, mais retrouver la liberté était plus fort que tout et je n’accordais alors aucune importance à l’événement. Ce n’est qu’une fois sur place que je découvris le grand drame.
Tous les membres de la famille avaient été délogé par la force, et expulsé vers d’autres lieux, après avoir subi humiliations et tortures ,les traces de sang et de violence étaient visibles sur les murs et sur tout le long du chemin de terre qui menait au village.
Le départ, s’était fait dans la précipitation, le décor était désolant,portes arrachées,et défoncées,des maisons effondrées,des arbres déracinés ,des amas de tuiles rouges de la vaisselle cassées jonchaient par terre,rien n’a été épargné, le village donnait l’impression d’avoir été dévasté par une tornade.
Pourquoi tant d’acharnement, de brutalité et de haine ?
C’est alors que les souvenirs d’enfance, flous et fragmentaires remontaient en surface, je me revoyais, tout jeune,et fougueux, sauvage jusqu’au bout, où j’arpentais les pieds nus les monticules, je dévalais les pentes, et je ruais vers la rivière pour me débarrasser des gouttes de sueur qui roulaient sur le front jusqu’aux temples.
le lieu était embaumé d’odeur, du Plantin (agusim),l’inule visqueuse(ameghraman) la plante qui va à la rencontre de l’eau,à l’enivrante senteur camphrée de la lavande,romarin (amezir) , à la pénétrante du basilic(lahbeq),la fraîcheur de la coriandre(lkesber),l’aromatique origan, serpolet (za3ter),de la globulaire (thaselgha),de la mauve(mejjir),à la saveur chaude et légèrement amère du laurier rose (ilili),à l’amertume de l’armoise blanche (cih),le goût acidulé de l’azerole (touvrast),et à l’âpreté de la bouture(tiskerth).
L’atmosphère était tellement chargée de sentiments, que je me jetais par terre, et j’éclatais en sanglots.
Bien souvent je revois sous mes paupières closes
La nuit, mon vieux village bâti de briques roses
Les cours tout embaumés par la fleur de tilleul
Ce vieux gourbi de granit bâti par mon aïeul
Nos fontaines, les champs,les bois,les chères tombes
Le ciel de mon enfance où volent les colombes
Les larges tapis d’herbe où l’on m’a promené
Tout petit, la maison riante où je suis né.
(Théodore de Banville, septembre 1841)
l.ouali juin 2015.

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