mercredi 3 juin 2015

à la fête,extrait du livre "rêves d'été-thirga unebdhu-


En Kabylie, il est d’usage qu’on célèbre les fêtes de mariage ou de circoncision en été, ce qui coïncide avec les grandes vacances et les congés annuels. Par tradition, de nos jours et depuis des temps reculés, le mariage est célébré à la fin de la saison estivale, juste avant les laboures, et jusqu'à la fin de la saison des figues, c’est une tradition qui se rapporte à la terre dans le calendrier amazigh.
Ainsi, tout le monde est invité et tout le monde est censé être présent, la grande famille est là, sans oublier les proches, les amis et les voisins. Comme le dit si bien l’adage « mariage d’une nuit, exige préparatifs d’une année, ainsi des jours durant voire des semaines avant le grand jour les dispositions battent leur plein.
Autrefois, les décisions de nouer les liens sacrés du mariage se réglaient au préalable entre parents en l’absence des principaux concernés, ces derniers ne prenaient connaissance de leur épouse que la nuit de noces ! Une coutume acquise depuis la nuit des temps, ou les raisons familiales et tribales primaient sur les sentiments du cœur.
C’est alors qu’à chaque fois qu’un jeune envisage de s’envoler en justes noces, il s’adressait d’abord à sa mère pour que celle-ci rapporte la nouvelle au père, car en ces temps-là, les jeunes n’osaient pas interpeller directement leur père.
Les fêtes chez les Kabyles, c’est le domaine de la femme, et c’est la mère de l’heureux élu qui trône impérialement et pompeusement durant les jours de festivité. Paradoxalement, c’est elle qui devient le centre d’intérêt, toutes les décisions se retrouvent comme par enchantement entre ses mains et ses prérogatives prennent alors toutes leurs dimensions.
Ce n’est ni le mari, ni le père du marié, qui est prépondérant et prééminent c’est bien la mère, celle qu’on considère comme la gardienne des valeurs, de la culture et de la langue,elle qui accapare alors tous les regards, et rien ne doit échapper à son regard.
Tel un chef d’orchestre, elle dirige, oriente, veille et observe les invités qui arrivent avec les cadeaux, et surtout ceux qui ne sont pas là. Ceux-là à qui elle avait donné et distribué, les étrennes et les billets, doivent les rendre. Pas question qu’elle laisse passer une telle offense, un jour pour eux, un jour pour nous lâche-elle sur un ton menaçant et incitatif.
Habillée de la tête aux pieds, d’abord la traditionnelle « fouta », puis parée de ses plus beaux bijoux, immobile au seuil de la porte ,elle suit des yeux , le va et vient ,tel un officier en campagne ,elle ordonne distribue les taches avec autorité ,et toute aussi prête à recevoir les arrivants avec les salutations d’usage et les « youyous » qui retentissent dans toute « l’hara ».
Dés que le père du mari donne sa bénédiction, la mère prend son bâton de pèlerin ,donne l’alerte et actionne son réseau dormant d’amies,voisines, et Cousines à la recherche de la belle bru, en ratissant large jusqu’au villages lointains. Une fois l’heureuse élue repérée, et désignée, la mère fait appel à ses proches, et quelques amies triées sur les doigts d’une seule main pour se rendre dans la totale discrétion avec deux à trois hommes dans la demeure de la dulcinée.
Ce n’est qu’une fois que les parents de la fille acceptent de donner leur fille en mariage, que la nouvelle est sciemment répandue dans tout le village.
Quelques jours avant le mariage, la mère, toujours omniprésente invite quelques femmes, et dans un élan de solidarité, elles se rassemblent à venir rouler le couscous. Cela se passe dans la joie, et dans une atmosphère bon enfant, agrémentés de belles et magnifiques chansons et poèmes dits spécialement pour la circonstance. C’est aussi le moment pour les membres de la famille de se rendrent chez la mariée pour lui remettre le traditionnel trousseau et le mouton à égorger.
De la traditionnelle cérémonie de henni chez le mari et la mariée, au repas géant, au cortège de voitures, le plus long convoi, le plus spectaculaire, à la fameuse nuit de noce, un des moments le plus marquant de la soirée.
Mais le moment le plus attendu des festivités avec impatience par toute la famille et convives, c’est la soirée de danse et des chansons au rythme de la zorna, de la cornemuse, de la derbouka et du bendir.
Les convives se donnent à cœur joie, à taper des mains, à chanter, à danser, à crier et à encourager les danseurs. Un moment pour se faire plaisir et se défouler. Sans oublier le fameux « achawiq », une sorte de complaintes, dites en solo et à voix nue, avec ses intonations, ses modulations ses fioritures, ses timbres et ses notes de passage,donne plus de couleurs et d’émotion à la cérémonie.
Et bien sur, c’est également et surtout l’occasion rêvée pour les regards aiguisés et concentrés des jeunes sur le choix de la future âme sœur et qui gardent un œil bien ouvert sur les filles tout auréolées de leurs plus beaux ornements. Celles-ci plus que décidées étalent toute leur souplesse et leur tonicité musculaire et n’hésitent pas à montrer toute leur classe jusqu’ à en friser la provocation sans vraiment transgresser les lois admises par tous.
On raconte, lors d’une cérémonie de mariage, à l’ultime jour de la fête un long cortège de voitures partait de Guenzet vers Aourir Eulmi pour ramener la mariée.
Une fois sur place, les parents du mari et les invités se sont retrouvés devant une situation inédite.
Le père de la mariée s’était mis en colère, se rétractant à la dernière minute et refusait de libérer sa fille pour raison de dot insuffisante, celle-ci revue à la hausse depuis. Le bonhomme, campé sur ses positions, récusant tout compromis et rejetant toute réconciliation, malgré les supputations des sages du village et des convives.
Il jurait par tous les saints et menaçait de rompre l’alliance si ses désirs n’étaient pas satisfaits.
Les invités essayèrent de le ramener à la raison et de le convaincre à changer d’avis, mais celui-ci persistait dans son entêtement telle une bourrique sans vouloir lâcher prise.
C’est lorsque, ils se préparent à rentrer bredouille, quand un des présents à la fête, un résident du village, s’adressant à la foule rassemblée autour du père de la mariée et dit :
-« écoutez, vous venez de loin, d’un village, dont les hommes sont connus par leur bravoure et leur savoir ancestral et qui font la fierté de notre région.
Je ne vous laisserai jamais repartir de la sorte, il est de mon devoir d’honorer mon village et ses habitants et afin d’effacer ce malentendu, je vous propose ma fille comme nouvelle mariée ! ».
Tous restèrent bouches béés, incrédules, et stupéfiés devant la tournure spectaculaire prise par l’événement. Et l’un des hommes parmi l’assistance, tout heureux et soulagé par la vénérable issue, s’exclama fou de joie:
-« après tout, pourquoi pas. »
Il n’a fallu que quelques petites heures, pour que le cortège reparte tout aussi joyeux qu’il en était venu.
Il est dit que, les deux mariés se sont acceptés mutuellement, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants jusqu'à leur mort et leur histoire reprise depuis, de bouche à oreille. l.ouali juin 2015.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

La parabole du vert et du bleu, « ccah yahwa-yagh »

NB : Ce texte, par son contenu, va peut-être fâcher certains d’entre vous, qu’ils trouvent ici toute ma sympathie et ma b...