jeudi 4 février 2016

la révolte des mineurs


Dda mokrane nith Bahmed était un homme intelligent sans être prétentieux, sage et fin d’esprit, petit de taille mais généreux de cœur, respectueux et jamais imbu de soi-même, ordonné et méticuleux, qualités qu’il détenait sans aucun doute de son père Mohand seghir aussi pointilleux et transmises depuis intégralement à ses enfants.
Je me suis souvenu de la première fois, où je l’ai aperçu, au contre bas de notre maison ou il emmenait ses enfants à l’aventure et pour passer des vacances au bled. C’était à la fin des années soixante dix, si ma mémoire est bonne. J’étais impressionné par tant de rigueur, et de discipline qu’il inculquait à ses enfants et ceux-là obéissants, calmes et enthousiasmés le suivaient aux pas. Dda Mokrane, est le fils de yamna hadj Arezki, et le frère à Mahmoud, Delloula et yamina, l’époux de Tassadit Ouafi (nith Ouarri) (1926) et le père de Malika(1948), Farouk(1949), Mariama(1951), Farid(1952), Kamel (1953) l’électricien, Nadjib (1954),Lyazid(1959),Azzedine(1961),Yamna(1963) Nadjia(1956/1985) et Mourad (1967).
Dda Mokrane nith Bahmed, né en 1914, et mort à l’âge de 71 ans, en 1985.après une enfance tumultueuse faite des hauts et des bas, et une jeunesse tout aussi houleuse marquée par sa mobilisation en tant qu’appelé au sein de l’armée française dans les années quarante.il regagne son village natal, et travaillait en ce temps-là, avec beaucoup d’autres villageois, comme mineur, pour le compte d’un colon prioritaire d’une carrière à Guenzet, celle-ci alimentait en agrégats, la réfection et l’élargissement de la route Lafayette(Bougaa)-Guenzet. Les travaux de la construction de la route avaient commencé bien avant, et fut achevée en 1918 (assuggas ubrid .Messemene Salah), comme en témoigne la chronologie des événements de la commune(1). La route, part de Lafayette, traverse Oued Bou Sellam, puis remonte une pente, appelée autrefois la vallée de l’Oued Sbaa, jusqu'à Titest et entre celle-ci et Guenzet elle suit le flanc de la montagne en passant au-dessus des villages pour des raisons probablement stratégiques. Cette route avait fait l’objet à maintes reprises de mesures d’entretien, de restaurations et d’agrandissements d’où la nécessité et l’utilité d’une mine de carrière sur place.
Dda Mokrane, était loin de se douter que ce jour-là et les jours d’après ne seront plus comme avant.
En effet dda mokrane, le grand petit homme, travailleur assidu se rendait quotidiennement, et sans relâche à son travail, quand un jour, son patron lui reprocha d’une façon arrogante, déplacée et véhémente sa négligence sur un travail qui pourtant ne lui était pas destiné, le ton monte, les esprits s’échauffent, et l’atmosphère s’électrifie, de la parole en on vient aux mains, on arrive aux coups, et on affûte les armes.
Le colon fort de la légitimité coloniale et du code de l’indigénat appliqué dans les années 1880 aux Algériens, celui-ci a été décrété dans le but de contrôler la population musulmane autochtone, cette mesure discriminatoire, répressive, humiliante et ségrégationniste avait pour conséquence l’aliénation et la conversion collective des tribus ou fractions insurgées et surtout pour mater toute insurrection ou révolte .celles-ci sont vite réprimées par les tribunaux de guerre de l’époque.
Il suffisait alors d’un rien pour que l’administration coloniale infligeait une punition sans commune mesure et réprimait sévèrement la moindre opinion contraire à la règle établie. Des faits ont été rapportes par la littérature et les notes de voyage, ainsi, lors du passage d’un soldat arrivé dans une des villes de l’intérieur du pays, ce dernier s’adressant à un vieil homme, en lui demandant ce qu’il faisait en prison. Le vieil homme lui répondit:
- « Alors, comme la maîtresse du Lieutenant était partie, et qu’elle avait beaucoup de bagages, le lieutenant avait donné des ordres aux caïds. Ceux-là m’avaient ordonné d’amener ma chamelle, mais comme elle était blessée au dos, je n’ai pas voulu la prêter. Me voilà en prison depuis huit jours. Le lieutenant, en m’interrogeant, m’a donné une gifle quand j’avais dit que ma chamelle était malade …Dieu m’est témoin que ma chamelle est blessée… ».
-Pourquoi es-tu en prison ? Demandait un soldat à un nouveau venu, grand garçon mince, celui-ci répondit :
-« Hier, je sommeillais devant le café. Le lieutenant de tirailleurs est passé et je ne l’ai pas salué…Alors, il m’a donné des coups de canne et s’est plaint au Bureau arabe. Le capitaine m’a mis quinze jours de prison et quinze francs d’amende ».
Tiraillé, trainé dans la boue, ne pouvant plus se défendre, le colon appelle au secours et demande de l’aide à ses suppléants, qui ne tardèrent pas à se manifester, et reprennent vite le dessus sur dda mokrane en le rouant de coups de pied et de gourdins.
Les indigènes, touchés dans leur amour-propre, ne pouvant supporter un tel traitement, se solidarisent avec leur compatriote, et s’insurgent contre le patron de la carrière et ses supplétifs, qu’ils désarment, et ligotent puis prennent la fuite vers les maquis avoisinants. Lorsque l’administration française eut vent de la révolte des mineurs, elle dépêcha une armada de soldats lourdement armés, du poste fixe du 4eme régiment des dragons de Guenzet, Titest, Béni Hafed, et même de Bougie .et elle lança alors, une des plus grandes chasse à l’homme que la région n’ait jamais connues. Il n’a pas fallu grand temps à l’armée française pour mettre fin à la cavale des indigènes, non préparés à une telle aventure et qui ont finis par êtres appréhendés. Menottés, et bien gardés, ils furent embarqués illico presto, les uns après les autres dans des véhicules militaires et traduis en justice pour insubordination et rébellion.
Le tribunal de bougie avait prononcé des peines de six mois à une année de prison ferme à l’encontre de Dda Mokrane et ses amis. Auparavant le procureur du haut de son promontoire après une longue et ennuyeuse plaidoirie préconisait une lourde peine, à Mokrane et ses compagnons, tout en leur donnant rendez-vous dans vingt ans. Mokrane répondit courageusement et avec dédain, le visage sans regard et lointain, qui exprimait une douloureuse révolte: -« si vous serez encore là ! ».
(1) chronologie des événements de la commune, Certains faits ont été retenus comme points de repère de la chronologie locale.
-1865, l’année de la famine, (asuggous n’cher)
-1866, l’année de la peste (asuggous n’bouchhit)
-1871, l’année de la révolte (asuggous n’ennefaq ou el hamla)
-1907, l’année du tremblement (asuggas n’ezzelzla)
-1908, l’année des sauterelles (asuggas oujerrad)
-1911, l’année du typhus (asuggas n’tifis)
-1920, l’année de la route (asuggas oubrid)
Lyazid Ouali février 2016

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