lundi 4 mai 2015

Le vieux,extrait du livre "rêves d'été-thirga unebdhu-


Dda Kassa Uabbés ( Abbés Belkacem)
Il n’est pas venu à la prière du matin, puis à celle de la mi-journée, et ses amis alors s’inquiétèrent un peu plus,et contre toute attente,ils décidèrent de se donner du répit jusqu'à la prière du couché. Peut être disaient-ils, c’est juste une fatigue passagère comme il en arrivait à tous les vieux.
lui qui ne manquait presque aucune prière commune avec les fidèles à la mosquée Laaraf,voila une trentaine d’années ,depuis qu’il avait pris sa retraite forcée et avait décidé de son retour définitif dans son village natal ,et mourir parmi les siens .
Il était comme tous les nombreux paysans qui avait traversé la mer pour aller gratter encore les champs pour arracher du combustible, dans les mines de charbon l’Alsace- Loraine, particulièrement la Moselle.
Comme tous ses semblables, c’était une main-d’œuvre pas chère, docile, obéissante, jeune et robuste, ces mineurs qui disaient à leur femme, qu’ils allaient en France pour gagner un peu d’argent puis rentrer! Mais y restèrent presque indéfiniment. Déjà en 1914, on dénombrait pas moins de mille cinq cent (1500) kabyles employés dans les mines du Nord-pas-de-calais, pour atteindre vingt trois milles (23ooo) en 1962.
Livrés à eux même, majoritairement analphabètes, et célibataires, il retrouvèrent un environnement tout à fait différent des leurs, contraints à s’adapter, ils se regroupèrent par petites communautés, selon le village et le hameau, pour recevoir des nouvelles de leurs proches et habitaient le plus souvent des cafés-hotels tenus par des compatriotes. Au rez-de-chaussée, des cafés maures qui contribuaient à maintenir les liens sociaux, et à l’étage, des logements assez petits qui comprenaient généralement une seule pièce, sans aucun confort, où s’amassaient plusieurs personnes, ces logement qu’on appelait autrefois corons, ce n’est que par la suite que les patrons firent construire des cités ouvrières afin d’avoir une main-d’œuvre plus fidèle.
Les « gueules noires »arboraient tous, un visage dont les yeux étaient cernés par de la suie, une lampe de sécurité à tamis nu, de type « Davy », où à cuirasse, une tenue de travail constituée et confectionnée dans un épais drap de lin blanc brut qu'on dénommait jupon, tissu peu coûteux, mais très résistant, chaussés d'espadrilles en corde, sans protection réelle pour ce dangereux métier, mais d'usage courant à l'époque. Par contre les galibots, ces enfants apprentis mineurs, étaient pieds nus, et les plus chanceux parmi eux portaient des sabots de bois !
Les conditions de travail des mineurs de fond étaient exécrables voire innommables, travailler six jours sur sept, de douze heures à seize heures par jours, sur des fonds allant de 300 à mille mètres dans une atmosphère poussiéreuse et sous une température qui varie entre vingt et cinquante degrés .c’est un univers particulier, une profession qui ne dépend ni de la lumière du jour ni des saisons, on y travaille tout le temps. Le bruit est permanent, l’insécurité est présente tout au long des journées, menacés par la chute de pièces, des machines qui cassent, à la merci d’un coup de grisou, d’inondations et des éboulements, la faucheuse est omniprésente.
Abbés Belkacem, Dda Kassa (Belkacem) se donnait un plaisir à nous raconter en détails le quotidien des mineurs, une vie dure et dangereuse, c’est comme s’il voulait nous faire sentir la misère dans laquelle il pataugeait lui, les siens et les ouvriers de la mine, partager c’est aussi s’alléger le lourd fardeau qui pesait sur lui. -« On ne mangeait guère à notre faim, notre alimentation était constituée de pain, le fameux « briquet du mineur »(casse-croûte),de la pomme de terre,et quelques rares légumes,quant à la viande,on en avait droit qu’un jour par semaine ,le dimanche ».
Et puis, il poursuit :
- « on se privait de pas mal de chose, il n’y avait jamais assez d’argent et il fallait à tout prix faire des économies pour envoyer au bled, pour ne pas s’exposer la risée du village ».
C’est suite à une visite médicale périodique que le médecin de la compagnie lui avait décelé les prémices d’une grave maladie qui pourrissait chaque jour un peu plus les poumons. Le toubib lui préconisa alors de rentrer chez lui en Kabylie car il ne lui restait que quelques mois à vivre. -« La bas dit il, il y’a au moins de l’air pure et de l’empathie des gens de la montagne ».
Dda Kassa, est rentré car il avait de la silicose, cette maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation de particules de poussières de la roche de silice dans les mines, les carrières, les percements de tunnel. Elle entraîne une inflammation chronique et une fibrose pulmonaire progressive. Et qui se traduit par une réduction progressive et irréversible de la capacité respiratoire (insuffisance respiratoire) même après l'arrêt de l'exposition aux poussières.
Lorsque Dda Kassa (Belkacem), est arrivé dans son village, il avait à peu prés la quarantaine, marchant courbé en avant comme un bossu.
-« faire deux pas puis respirer, chercher l’oxygène et refaire deux pas encore il faut savoir doser son effort » dit-il.
Maigre comme un clou, un mort vivant. Il restait cloîtré chez lui, dormait assis dans son lit de peur de s'étouffer. Quand il lui prenait la fantaisie d’aller se promener un peu, on l’entendait souffler, siffler, grincer, chuinter, comme s’il avait une nichée d’oisillons affamés dans la poitrine. Puis il s’arrêtait un long moment pour reprendre son souffle, toussait, et crachait de la poussière noire mêlée à du mucus et à du sang.
Il parlait doucement, respirait entre chaque mot, prenait un peu de temps entre chaque pas, c’était toujours pareil disait-il :
-«Ça fait partie du quotidien et du métier. On respirait à plein poumon une poussière particulièrement nocive, sans le savoir, on se croyait plus ou moins protéger par un mouchoir imbibé d’eau devant la bouche ».
-« De toute façon, on n'avait pas le choix, si on voulait gagner de l’argent, il faut aller au fond, il faut aller au charbon. »Fini par lâcher Dda Belkacem.
Il continu : -
« Un mineur, est de nature fier, il va gratter, creuser les travers –bancs, entretient le boisage, attaquer le rocher au pic, à la barre à mine puis à la dynamite. Il sait pourquoi, malgré qu'il y laisse sa santé. Après, le poumon est pareil à une éponge qu’on essore, elle apparaît alors pleine de crevasses, et puis, de toute manière, la silicose, c'était une maladie d'ouvrier, tout le monde s'en foutait. »
Dda Kassa savait que c’est l’environnement poussiéreux qui va le tuer, et , il le savait ,il allait mourir , en fait c’est tout le contraire,lui qui est déjà donné pour mort ,il ne le savait pas,du moins pas encore, que son corps refusait d’abdiquer et de s’éteindre ,alors il continue à vivre.
Tous les mineurs le disent:
-«Le gars qui n'a pas de silicose, c'est un homme fainéant autrement dit c’est qu'il n'a jamais bien travaillé.» Comme si la silicose était une blessure de guerre, une décoration funeste qui faisait de lui un mineur de fond.
Il est rentré chez lui ,les larmes aux yeux,pour revoir pour la dernière fois quelques figures avant le grand départ,mais cet air qu’il respirait à grande bouffée ,quoique difficilement,lui faisait du bien ,il aimait particulièrement l’odeur du caroube, et portait assez souvent sur lui une tige de lavande en guise de chasse-mouches .on le faisait sortir pour respirer un bol d’air et voir les amis et les proches, les gens du village lui rendait visite et ça l’occupait un peu et ça lui faisait oublier l’état dans lequel il était.
Chaque jour il se sentait mieux, reprenait petit à petit des forces, toussait moins, respirait mieux, et commençait à se rendre seul à la mosquée jusqu'à ce qu’il retrouva par miracle toute sa santé.
Tout le village en parlait, même le médecin de la compagnie était émerveillé lorsqu’il avait eu écho de la nouvelle. Belkacem abbés, le mineur de fond, celui à qui on prédisait une mort certaine en quelque mois avait vécu trente ans de plus.
Mais ce jour-là, au petit matin, à l’appel du muezzin, Belkacem, ne s’est pas réveillé et il n’est pas parti à la mosquée, il ne partira plus jamais, il s’en est allé pour toujours vers sa dernière demeure.
lyazid ouali mai 2015.(rêves d'été)-thirga unébdhou.

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