samedi 16 septembre 2017

Dda Abdellah, la mascotte du village


Une pensée envers ces gens qui ont perdu l’esprit
Dda Abdallah, le fou du village, une figure qui alimentait l’imaginaire collectif, car autrefois un village n’en était pas un, s’il ne possédait pas son propre fou ! Et Dda Abdallah, en est la mascotte du régiment, un personnage essentiel qui rythmait la vie au village.
Si les villageois pouvaient rire et s’amuser de ses histoires, comme bon leur semble, il n’en est pas possible pour les étrangers qui ne pouvaient pas se payer sa tete.car si les inconnus se moquaient de lui, c’est comme s’ils se moquaient de tout le village.
Au village, on l’appelait « Abdallah Bou chek chouken » (celui qui ramassait les pièces usées).tout le monde le connaissait, et tout le monde était son ami. Le collectionneur de babioles, gros, petits et de toutes sortes, avec son habillement excentrique, burnous, gandoura, été comme hiver, coiffé d’une chéchia décorée de meilleurs objets trouvés et équipé pour la circonstance d’un instrument métallique en guise d’arme en bandoulière.
Le voila, tôt le matin, parcourant le village de long en large à travers ses ruelles et ses recoins bien particuliers, tels les cafés et les dépotoirs « aghoudi l’djemaa » à la recherche de bricoles de toutes natures, mais il jetait son dévolu sur les pièces métalliques et les objets tordus ,surtout les capsules de bouteilles de soda qu’il rafistolait et redressait chez son ami le forgeron du village Hakim Uchargui pour ensuite confectionner des accessoires fabuleux comme les porte-clés et les boucles d’oreilles qu’il épinglait sur ses vêtements.
Dda Abdallah avait passé toute sa vie à collectionner ces choses concrètes perceptibles et fantaisistes chères à ses yeux.il faut voir l’excitation et l’émotion qu’il dégageait à chaque fois qu’il tombait sur un objet peu ordinaire. C’est un véritable comportement d’adoration, voire quasi névrotique, qu’il faut aller chercher probablement dans sa petite enfance où le pouvoir de l’objet transitionnel lui permettait de soulager sa peur de la solitude. Ainsi son gout pour ces objets contrebalançait entre les traumatismes d’une enfance sans amour, où ceux subits lors de sa participation à la seconde guerre mondiale en Allemagne et pour contre carrer ce manque affectif, ses sentiments se portaient inéluctablement sur un objet fétiche.
Dda Abdallah NIth Ammar, était un homme solitaire qui vivait dans son monde à lui, sans déranger personne et sans jamais vivre loin des siens. À cette époque les gens refusaient d’enfermer les fous, pour des raisons religieuses, de dignité et de moyens aussi. Leur intégration au sein de la collectivité était considérée comme thérapeutique.
Il faut dire, qu’en ces temps-la, presque dans chaque famille ou à la rigueur dans chaque hameau il y avait un fou. Abdallah NIth Ammar, Abderrahim Uabbas, l’ Bachir NIth Bahmed, à Tanaqoucht, Si- Smail à Aghdane Salah et bien d’autres qui hantaient de jour comme de nuit les villages environnants.
Ces personnages, psychologiquement perturbés, qui ont perdu la raison, exclus de la société, ceux-là qui entendaient des voix que personne n’entendait, voyaient ce qui n’existe pas, parlaient un discours en rupture avec la norme.et leur intégration dans la société est synonyme de réactions tantôt cruelles, tantôt protectrices, car ils restaient des marginaux, vus comme des êtres bizarres, et la peur de l’étrange, sœur de la différence, des simplets, les innocents du village.
Ces gens qui ont perdu l’esprit, des personnages particuliers voire mythiques qui paradoxalement occupaient un rôle central dans la population.il jouaient le rôle ingrat, bien que nécessaire en étant le repère de la normalité des gens du village et qui les rassuraient qu’ils sont bel et bien sains d’esprit.
Aujourd’hui la folie n’existe plus, transformée en maladie depuis que ces laissés pour compte ont mis les pieds dans les hôpitaux psychiatriques. Notre professeur de médecine en plaisantant nous disait que le premier patient d’un psychiatre c’est lui-même et Freud considérait que personne n’est entièrement normal.
Un jour, un des neveux de Dda Abdallah, Nadir, voulant lui faire la morale, en lui reprochant son attitude obsessionnelle à ramasser des frivolités.il répondit d’une façon nonchalante et empreinte de sagesse :
-« on ne siffle pas à une personne qui a soif ! »
Pour dire et signifier à l’autre et à tous que le mal est tellement profond et réside dans un besoin réel, naturel et vital : L’amour, un sentiment qu’il n’avait jamais eu durant son enfance, lui qui aimait réciter tel une prose ou un quatrain rimé, la phrase : »iwallah,iwallah,dadakh abdellah ! » En tapant vigoureusement sa main sur sa poitrine.
Dda Abdallah, la mascotte du village, avait une habitude assez particulière, réglée comme un rituel religieux, qui se répétait de manière précise, au même moment et à la même période où il procédait à un grand ménage annuel en faisant le tri et en se débarrassant des objets ramassés durant des mois. C’est alors que tous les voisins et les proches se précipitent avec engouement vers la demeure de Dda Abdallah à la recherche de l’objet rare et la chance sourit parfois à certains d’entre-eux.une bague d’or par-ci, des billets de banque par là, et bien d’autres objets de valeurs.
Lorsque Dda Abdallah avait sentit venir sa mort, il décida spontanément et d’un coup de tête pour l’unique fois de sa vie à peindre sa chambre et d’installer l’électricité, lui qui avait passé toute sa vie éclairé par une bougie !et quand le jour arriva, les villageois ont eu la surprise de découvrir, Dda Abdallah impérialement allongé sur son lit de mort, propre, imperturbable, la chambre impeccablement peinte baignant dans des couleurs et des lumières.
Dda Abdallah était le premier époux de Tassadit NIth Bahmed, avant qu’elle ne divorce, toutefois, elle garda un lien fraternel , en lui prodiguant les soins et l’affection dont il avait besoin. Elle avait pris pour second conjoint son cousin germain Amar (Dda Mara) NIth Bahmed avec qui elle eu deux enfants, le défunt Abdelkrim, l’électricien et Hamid, le chauffeur de taxi.
Ps : Dda Abdallah avait un ami intime, Aissa Bachir dit Mordjane, (n’Tahar Ouslimane), une personne avec qui, il s’entendait à merveille, j’ai eu le plaisir de le rencontrer, en lui expliquant mon souhait de rendre hommage à Dda Abdallah et à travers lui à tous les malades mentaux du village. Je lui ai demandé alors, la photo qu’ils avaient prise ensemble afin de l’adjoindre à mon article.la photo qui était durant des années exposée dans leur café à disparue depuis. Aucune trace malgré nos innombrables recherches. Au dernier séjour à Guenzet, on m’a orienté vers une autre personne, et je découvre par un pur hasard son fils, Sofiane Yahi, un gentil garçon à daou el kahoua (au dessous du café), qui m’a confirmé en sa possession la fameuse photo de Dda Abdallah qui n’a d’ailleurs pas pu retrouver.. Plus tard, en janvier 2018, son cousin, Dda haya NIth Ammar me remet la fameuse et l’unique photo de Dda abdallâh.que dieu ait son âme.
l.ouali septembre 2017<>

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