mardi 23 février 2016

Tafsut - Le printemps


Amagar n’Tafsut : l’accueil du printemps
Il y a des calendriers qui ont survécu au temps, et au calendrier julien et grégorien, Le calendrier berbère est un calendrier agraire, employé pour régler les travaux agricoles saisonniers, et notamment la numérotation des années, où l’an zéro(0) correspond à l’an moins (-950) de l’ère chrétien.sa base de calcul est identique à celle du calendrier julien avec un décalage de quatorze (14) jours avec le calendrier grégorien.(2016+950=2966 qui correspond à l’année berbère).
Ainsi, le premier jour du mois de Yannayer, qui correspond au premier mois de la nouvelle année berbère est fêté le 14 janvier du calendrier grégorien (universel).cependant, en Algérie, la date la plus répandue du nouvel an berbère est le 12 janvier.
Ce décalage s’explique par le fait que le calendrier amazigh était julien au départ, et n’a pas bénéficier de la correction de 10 jours qu’a eu ce dernier en 1582 par le pape Grégoire XIII. Depuis l’erreur s’est aggravée pour arriver à 14 jours.
Il est de coutume également chez les kabyles de fêter l’arrivée du printemps dit Tafsut (la fête de la fleur), tout comme Yannayer, une fête authentique berbère, toujours profonde et vivace chez les Touareg, qu’ils appellent Tafsit.
Tafsut, le printemps, qui signifie littéralement l’éclosion, est une saison privilégiée, fébrilement attendue par les paysans, vu, son changement spectaculaire, ses variations capricieuses, une renaissance en soi, qui donnent lieu à des rituels spécifiques.
Avec l’entrée dans Tafsut, qui marque traditionnellement le renouveau dans la nature, où celle-ci sort pompeusement, des rigueurs et des affres de l’hiver pour ouvrir la vie sur un nouveau cycle. C’est une saison qui appelle la vie, le radoucissement du temps, le bourgeonnement et la floraison des plantes, le réveil des animaux hibernants, Les végétaux éclosent à nouveau, la chaleur du soleil féconde les graines cachées dans le sous-sol gorgé d’eau et la terre se couvre d’un tapis floral avec multitudes de couleurs.
Il est ainsi, chez les berbères,à ith yaala; d’accueillir Tafsut, avec étonnement et joie, dont le premier jour correspond au 28 février du calendrier grégorien (amagar n’Tafsut ou rbie), et qui marque toutes les naissances, par un ensemble de gestes perpétués depuis la nuit des temps.
Dans la matinée du premier jour, les familles, tout âge confondu, accompagnée d’une armada de bambins vêtues de leurs meilleurs habilles, sortent dans les prés( Lotta Boukaroun,le terrain plat de Boukaroun), à la rencontre de la nature y improvisent des pique-niques, à même le sol, sur l’herbe grasse, et sur laquelle ils se roulent avec plaisir, pour prendre les couleurs, les parfums et les odeurs de la terre ,le vert des arbres est si vivace, les nuances des fleurs si éclatantes.
Les couffins chargés de divers mets et de friandises préparés pour la circonstance,de la galette fourrée aux dattes, aux bonbons, et chocolats, aux délicieux gâteaux à base de semoule, les fameux bonbons halwa djillali,sans oublier les œufs à la coque et des fruits à volonté.
les routes et les champs s’animent de nouveau et reprennent vie pour le temps d’une chorale, une symphonie de voix,s’élevant au milieu des prés,magistralement orchestrée par des enfants, joyeux, heureux,en parfaite harmonie avec la nature.
"Kali, kali r’bie, anazlou aami rabie, anach seksou s’u kadith, ansew aman uyedith…"
"Le voila, le voila, arrive le printemps, on égorge un coq, on mange du couscous à la viande séchée, et on boit l’eau fraiche de la gourde ».
La fête se poursuit ainsi jusqu’au crépuscule, où chacun rentre chez soi pour préparer le dîner particulier Imensi N'tefsut, l’incontournable couscous aux fèves (Avissar), et elle se termine dans des moments de retrouvailles conviviales, et de joie partagée.
Une fois la fête terminée, la saison redémarre de nouveau avec des périodes, ou chacune porte un nom spécifique, la voila la période de 10 jours dénommées Tizougaghin (les journées rouges) en rapport avec le coucher du soleil, qui donne au ciel une couleur rouge pourpre. Suivie immédiatement d’une seconde période appelée Timgharine (capricieuses) d’une durée de sept jours, marqués par un temps changeant, capricieux, passant spontanément des averses de pluies aux éclaircies hors saison. Puis vient la période dite ledjwareh (les blessures) allant du 17 au 22 mars, suivie de swaleh (les jours utiles) à l’apparition des fruits sur les arbres. Puis arrivent les sept jours imhaznen (tristes) qui correspondent aux premières journées chaudes d’avril et enfin, les journées blanches (imellalen) du mois de mai qui annoncent l’arrivée de l’été.
l.ouali février 2016

jeudi 4 février 2016

la révolte des mineurs


Dda mokrane nith Bahmed était un homme intelligent sans être prétentieux, sage et fin d’esprit, petit de taille mais généreux de cœur, respectueux et jamais imbu de soi-même, ordonné et méticuleux, qualités qu’il détenait sans aucun doute de son père Mohand seghir aussi pointilleux et transmises depuis intégralement à ses enfants.
Je me suis souvenu de la première fois, où je l’ai aperçu, au contre bas de notre maison ou il emmenait ses enfants à l’aventure et pour passer des vacances au bled. C’était à la fin des années soixante dix, si ma mémoire est bonne. J’étais impressionné par tant de rigueur, et de discipline qu’il inculquait à ses enfants et ceux-là obéissants, calmes et enthousiasmés le suivaient aux pas. Dda Mokrane, est le fils de yamna hadj Arezki, et le frère à Mahmoud, Delloula et yamina, l’époux de Tassadit Ouafi (nith Ouarri) (1926) et le père de Malika(1948), Farouk(1949), Mariama(1951), Farid(1952), Kamel (1953) l’électricien, Nadjib (1954),Lyazid(1959),Azzedine(1961),Yamna(1963) Nadjia(1956/1985) et Mourad (1967).
Dda Mokrane nith Bahmed, né en 1914, et mort à l’âge de 71 ans, en 1985.après une enfance tumultueuse faite des hauts et des bas, et une jeunesse tout aussi houleuse marquée par sa mobilisation en tant qu’appelé au sein de l’armée française dans les années quarante.il regagne son village natal, et travaillait en ce temps-là, avec beaucoup d’autres villageois, comme mineur, pour le compte d’un colon prioritaire d’une carrière à Guenzet, celle-ci alimentait en agrégats, la réfection et l’élargissement de la route Lafayette(Bougaa)-Guenzet. Les travaux de la construction de la route avaient commencé bien avant, et fut achevée en 1918 (assuggas ubrid .Messemene Salah), comme en témoigne la chronologie des événements de la commune(1). La route, part de Lafayette, traverse Oued Bou Sellam, puis remonte une pente, appelée autrefois la vallée de l’Oued Sbaa, jusqu'à Titest et entre celle-ci et Guenzet elle suit le flanc de la montagne en passant au-dessus des villages pour des raisons probablement stratégiques. Cette route avait fait l’objet à maintes reprises de mesures d’entretien, de restaurations et d’agrandissements d’où la nécessité et l’utilité d’une mine de carrière sur place.
Dda Mokrane, était loin de se douter que ce jour-là et les jours d’après ne seront plus comme avant.
En effet dda mokrane, le grand petit homme, travailleur assidu se rendait quotidiennement, et sans relâche à son travail, quand un jour, son patron lui reprocha d’une façon arrogante, déplacée et véhémente sa négligence sur un travail qui pourtant ne lui était pas destiné, le ton monte, les esprits s’échauffent, et l’atmosphère s’électrifie, de la parole en on vient aux mains, on arrive aux coups, et on affûte les armes.
Le colon fort de la légitimité coloniale et du code de l’indigénat appliqué dans les années 1880 aux Algériens, celui-ci a été décrété dans le but de contrôler la population musulmane autochtone, cette mesure discriminatoire, répressive, humiliante et ségrégationniste avait pour conséquence l’aliénation et la conversion collective des tribus ou fractions insurgées et surtout pour mater toute insurrection ou révolte .celles-ci sont vite réprimées par les tribunaux de guerre de l’époque.
Il suffisait alors d’un rien pour que l’administration coloniale infligeait une punition sans commune mesure et réprimait sévèrement la moindre opinion contraire à la règle établie. Des faits ont été rapportes par la littérature et les notes de voyage, ainsi, lors du passage d’un soldat arrivé dans une des villes de l’intérieur du pays, ce dernier s’adressant à un vieil homme, en lui demandant ce qu’il faisait en prison. Le vieil homme lui répondit:
- « Alors, comme la maîtresse du Lieutenant était partie, et qu’elle avait beaucoup de bagages, le lieutenant avait donné des ordres aux caïds. Ceux-là m’avaient ordonné d’amener ma chamelle, mais comme elle était blessée au dos, je n’ai pas voulu la prêter. Me voilà en prison depuis huit jours. Le lieutenant, en m’interrogeant, m’a donné une gifle quand j’avais dit que ma chamelle était malade …Dieu m’est témoin que ma chamelle est blessée… ».
-Pourquoi es-tu en prison ? Demandait un soldat à un nouveau venu, grand garçon mince, celui-ci répondit :
-« Hier, je sommeillais devant le café. Le lieutenant de tirailleurs est passé et je ne l’ai pas salué…Alors, il m’a donné des coups de canne et s’est plaint au Bureau arabe. Le capitaine m’a mis quinze jours de prison et quinze francs d’amende ».
Tiraillé, trainé dans la boue, ne pouvant plus se défendre, le colon appelle au secours et demande de l’aide à ses suppléants, qui ne tardèrent pas à se manifester, et reprennent vite le dessus sur dda mokrane en le rouant de coups de pied et de gourdins.
Les indigènes, touchés dans leur amour-propre, ne pouvant supporter un tel traitement, se solidarisent avec leur compatriote, et s’insurgent contre le patron de la carrière et ses supplétifs, qu’ils désarment, et ligotent puis prennent la fuite vers les maquis avoisinants. Lorsque l’administration française eut vent de la révolte des mineurs, elle dépêcha une armada de soldats lourdement armés, du poste fixe du 4eme régiment des dragons de Guenzet, Titest, Béni Hafed, et même de Bougie .et elle lança alors, une des plus grandes chasse à l’homme que la région n’ait jamais connues. Il n’a pas fallu grand temps à l’armée française pour mettre fin à la cavale des indigènes, non préparés à une telle aventure et qui ont finis par êtres appréhendés. Menottés, et bien gardés, ils furent embarqués illico presto, les uns après les autres dans des véhicules militaires et traduis en justice pour insubordination et rébellion.
Le tribunal de bougie avait prononcé des peines de six mois à une année de prison ferme à l’encontre de Dda Mokrane et ses amis. Auparavant le procureur du haut de son promontoire après une longue et ennuyeuse plaidoirie préconisait une lourde peine, à Mokrane et ses compagnons, tout en leur donnant rendez-vous dans vingt ans. Mokrane répondit courageusement et avec dédain, le visage sans regard et lointain, qui exprimait une douloureuse révolte: -« si vous serez encore là ! ».
(1) chronologie des événements de la commune, Certains faits ont été retenus comme points de repère de la chronologie locale.
-1865, l’année de la famine, (asuggous n’cher)
-1866, l’année de la peste (asuggous n’bouchhit)
-1871, l’année de la révolte (asuggous n’ennefaq ou el hamla)
-1907, l’année du tremblement (asuggas n’ezzelzla)
-1908, l’année des sauterelles (asuggas oujerrad)
-1911, l’année du typhus (asuggas n’tifis)
-1920, l’année de la route (asuggas oubrid)
Lyazid Ouali février 2016

La parabole du vert et du bleu, « ccah yahwa-yagh »

NB : Ce texte, par son contenu, va peut-être fâcher certains d’entre vous, qu’ils trouvent ici toute ma sympathie et ma b...