mercredi 9 décembre 2015

Le doyen des médecins d'ith yaala

Amar El Hocine,le medecin de campagne.

L’Mouloud Ouali n’hésitait pas à aider autrui, car il avait de l’estime pour les gens instruits et la solidarité était aussi de mise dans le village, c’est alors ils décidèrent, tout un groupe d’hommes de Tanaqoucht à rassembler argents et biens pour venir en aide à un toubib issu de la tribu, le docteur Haouza Amar (Amar El Hocine), le père à Abdelrafik et Mohand Saïd dont la maison est située dans la ruelle (amtiq) Uabbas où amtiq el Hocine, constituée d’un seul étage, avec son toit en tuile rouge, et son portail en bois d’ébène rangé par le temps, perchée sur un petit monticule et ouverte sur le fumier de ledjmaa.
À l’appel de ces hommes, et sans hésitation aucune, tous les habitants du village avaient répondu présent à l’initiative pour l’accompagner ainsi dans l’ultime démarche, pour concourir contre un autre médecin d’origine juive le nommé, Ouizrat pour s’installer et activer dans la région. Il faut dire, qu’au village, l’entraide collective était presque une obligation, des mœurs incluses dans les traditions. Il en était de même des grands travaux d’utilité publique, une pratique bénévole et sans contrepartie (thiwizi).
Les villageois avaient fait tout ce qu’il fallait, avec hargne et le désir de vaincre « arroumi », pour venir en aide à un des leurs, en attendant le verdict, de l’administrateur. Quelques jours plus tard, la nouvelle était tombée comme un couperet, une décision sans appel, Ouizrat était désigné par les autorités françaises, en tant que médecin de toute la région.
Le village tout entier était en émoi, la tristesse se lisait sur les visages.
Le toubib était tellement affligé que ses apparitions se faisaient de plus en plus rares jusqu’aux jours, où les hommes ne le voyaient plus venir, inquiets ils se rendirent immédiatement chez lui, cognèrent plusieurs fois à la porte puis finissent par la défoncer.
Au fond de la pièce, mal éclairée, à la lumière du feu de braise, se trouvait un lit, une chaise, une petite table sur laquelle étaient posés pêle-mêle quelques livres, un verre, un stéthoscope. Sur la cheminée presque nue, était accroché un portrait, un vieux miroir, des bouteilles étiquetées épars sur le parterre, et dans un coin de la chambre, un spectacle horrible s’offrait à leurs yeux, le corps d’Amar el Hocine, frêle, inerte, livide, et pâle, gisait sur le sol, le visage sans vie, fortement éclairé par un reflet de flamme, laissant échapper un léger sourire au coin de la lèvre droite, et une écume rose sortait de son nez et de sa bouche. L’un des hommes, l’mouloud se rua vers lui, releva doucement sa tête, et lui administra une gorgée d’huile d’olive, mais c’était trop tard car ce qu’il avait avalé à longuement fait son effet et ses jambes allongées étaient déjà rigides et froides. Les hommes demeurèrent immobiles, stupéfiés, les regards pensifs,le froid, et le silence remplissent l’atmosphère, tandis que dehors le soleil déclinait lentement et la nuit arrivait à coups d’ailes.
on racontait que la veille, Amar el Hocine avait minutieusement préparé sa mort au détail prés, il s’était rendu au bain maure (hammam), appartenant à la famille el Hocine, situé à Lahdada, tout près de la forge des chergui, où il avait passé un bon moment à se laver et à se purifier avant d’avaler une dose d’un produit que lui seul connaissait les effets et rentre en titubant chez lui pour s’enfermer à double tour. Amar el Hocine peiné de ne pouvoir répondre aux attentes tant espérées, avait préféré se donner la mort une mort atroce et violente. Il avait eut aussi l’idée de mourir pour ne pas voir l’autre vainqueur. Lui qui guérissait les autres, le brave homme qui donnait des soins aux pauvres pour rien, qui assistait les mourants et les parturientes, qui accueillait chez lui le malade, le fou, l’égaré, l’inconnu en quête de guérison, de piété et d’une oreille attentive.
Il était du nombre de ces hommes froids en apparence, et timides, mais toujours en paix avec eux même, C’est le portrait d’homme qui démontre que la valeur des sentiments est plus forte que l’argent. Qu’est ce qu’un médecin ? sinon celui qui donne sans compter et sans attente de recevoir, celui qui met sa vie au service des autres, l’homme qui assiste la mort et accompagne la vie.
Lui l’orgueilleux comme tous les montagnards, humilié par sa défaite, muté ailleurs, loin des siens il n’avait plus le courage de se joindre aux hommes à la djemaa, ni regarder ses semblables droit dans les yeux après tout ce qu’ils ont fait pour lui.
Il était né dans un petit village, où ses parents s’étaient fixés depuis longtemps et où s’est écoulée sa première enfance. A l’âge de six ans, Amar, fut mis à l’école, et il en est sortit que pour aller achever ses études dans la grande ville.
Son père, un paysan comme tous les autres, lui cacha soigneusement le peu de biens qu’il avait, il désirait lui inspirer ainsi les vertus de la pauvreté, la patience, la soif de l’instruction et l’amour du travail.
Alors il avait appris à vivre avec et parmi les villageois, ces montagnards qui lui vouaient tous un sentiment presque maternel, car pour eux il savait être attentif et utile. Et à son tour, il s’est attaché à eux, comme la mère qui s’attache à son enfant. Il s’est intégré alors à ces habitants qui le chérissaient, le respectait, non pas parce qu’il était un des leurs, mais parce qu’il était à cette époque, l’unique médecin issu du village, et qui en faisait toute la fierté.
Amar était un homme soucieux, un peu renfermé sur lui-même, mais d’une agréable compagnie. Avec son savoir et sa politesse raffinée, il avait ramené un peu de civilité dans le village, il savait parler, et ses paroles étaient emprunt de respect et de reconnaissance d’autrui. Il méritait leur confiance sans que celui-ci ne la sollicite, ni sans paraître la désirer, et sans attendre d’eux la moindre phrase d’éloge, ni récompense, juste un remerciement, il devint ainsi leur oracle ayant du crédit et faisant autorité.
Il avait toujours quelques choses à dire et tous les paysans l’écoutaient avec admiration, et surtout volontiers celui qui prescrit des ordonnances pour soigner le corps, et à qui on demandait souvent conseils, ceux-là qui voulaient toujours des actes à l’appui des paroles. Celui qui disait à peu prés cela : les progrès intellectuels se confondent entièrement dans les progrès sanitaire, car pour toute évidence qui travaille mange et qui mange pense.
Amar el Hocine, notre médecin de campagne, le vénérable homme, s’était fait un pacte secret avec lui-même et le bon dieu, il s’était engagé à le garder jalousement pour lui tout seul, voila pourquoi ses accompagnateurs et ses amis particuliers n’en savaient absolument rien. L’mouloud Ouali, Mahfoud Bahmed, et les autres étaient dans l’ignorance totale.
Il s’était ainsi juré d’aller jusqu’au bout de sa mission et de devenir le guérisseur du village, et des villageois, malgré les obstacles, la misère, et depuis que la peste fauchait sans compter. Celui qui avait le goût d’être vainqueur même dans rien !!!Ne désespérait guère, il parcourait des distances, se privait de pas mal de choses et veillait tard dans la nuit à la lueur de la bougie. Finit par triompher sur l’adversité sans jamais arriver au bout de son chemin.
Amar el Hocine, l’époux de Saadia el Hocine, (morte elle aussi depuis, dans un terrible accident de la circulation du cote de Bouira), l’enfant prodige d’ith-Yaala, s’était donné la mort, un certain soir de novembre, le jour où il pleuvait à torrents, parce que c’était un homme d’honneur, probe, intègre et courageux, afin de préserver sa dignité morale et garder intacte toute l’estime des autres.
à la mémoire du premier médecin de Guenzet.

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