lundi 18 décembre 2017

Les trésors cachés d’ith Yaala


PORTES ET COFFRES DES BENI-YALA
« À Guenzet, et plus largement, sur le territoire des ith Yaala, circulait un adage : au pays des beni Yaala, poussent les ulémas, comme pousse l’herbe au printemps. »
Les forets qui dominent les villages des beni Yaala sont essentiellement composées de chênes verts, et dans un moindre degré de pins d’Alep. Certains documents romains font aussi état de la présence de cèdres sur les hauteurs.
Les artisans d’autrefois n’avaient à leur disposition que le pin d’Alep et le cèdre pour les travaux de menuiserie. Le pin d’Alep est un bois clair, franc. Légèrement dur, se travaille facilement au rabot, à la scie et au ciseau.il se prête bien à la sculpture et accepte sans problème la teinture et la cire.il convient d’ailleurs à merveille à l’apprentissage de la menuiserie.
Le cèdre, autre bois résineux, est plus joliment veiné et un peu plus dur que le pin d’Alep, à son tour il se travaille bien, lui aussi au rabot, à la scie et est idéal à la sculpture, résistant à la pourriture et aux parasites mais il est volontiers cassant et fendant .il suffit d’un coup de maillet appliqué de travers sur le bédane (proche du ciseau) ou un tenon légèrement fort et c’est l’éclatement de la mortaise.
Chez les beni Yaala, le pin d’Alep occupe une place prépondérante dans la fabrication des portes et essentiellement dans la confection des coffres. Tous les coffres répertoriés étaient en pin d’Alep, jamais en cèdre. Alors que selon un constat avéré, une exposition des bois durant un demi-siècle ou plus, aux intempéries, rendent quasiment impossible la distinction du moins à la première vue le cèdre du pin d’Alep.
M. Gast, y voit deux (2) raisons à cette affinité, qu’il qualifie d’ordre historique et culturel !mais bien d’autres raisons peuvent êtres évoquées, particulièrement d’ordre pratique car le cèdre est impropre à la conservation des aliments et transmettait également son odeur particulièrement aux laitages. Alors que rien de tel ne se produit avec les garde-manger en pin d’Alep. Les écoles professionnelle de Lafayette ont fait la désagréable expérience en utilisant le bois de cèdre dans la fabrication de plusieurs garde-manger comme la constaté Mr Louis-Robert Gordon durant les années cinquante.
Il faut dire aussi qu’en ces temps-là, les coffres ne servaient pas seulement à ranger les robes, les bijoux de femmes et parfois des armes. Mais, ils servaient également à cacher les mets succulents à l’abri des mouches, des chats et surtouts de jeunes enfants.
Le dernier menuisier-huchier (menuisier spécialisé dans la fabrication des huches et des coffres) des beni-yaala est un nommé Ben Atmane Ali* (Axxam Ubenathmane ?), et qui résidait à Guenzet vers les années quarante Les Ben Atmane étaient des artisans de père en fils. Ali devenu à son tour menuisier-huchier, se déplaçait avec son outillage de village en village, s’installait chez les clients pour la durée des travaux qui lui étaient commandés. Selon la coutume il y était nourri, logé et recevait en outre une paie en nature ou en espèces. Ali se chargeait d’abord avec l’aide une tiers- personne ,généralement un proche, du débitage des arbres en madriers et en planches selon ses besoins .puis il entrepose les matériaux chez lui en attendant de les utiliser.
Afin d’obtenir un bois convenablement sec, l’artisan doit respecter certaines règles héritées des traditions du métier, à savoir ,attendre environ huit mois pour chaque centimètres d’épaisseur avec le pin d’Alep et un peu plus avec le cèdre et la condition d’empiler soigneusement les planches de bois en intercalant entre chacune d’elles des liteaux pour assurer une bonne ventilation et éviter les éventuelles déformations reconnues dans la plus parts des coffres disjoints avec des pieds tordus et gauchis .
Selon les témoignages recueillis et le constat fait par Mr Gast, que se soit chez les Béni-Abbes, ou les beni Yaala, les artisans procédaient généralement de la même façon, et par des raisons de commodité, ils fabriquaient chez eux toutes les pièces constitutives des coffres, sculptées et peintes, puis les transportaient à dos de mulets chez les clients où ils les assemblaient. Pour les portes, il en allait tout autrement, car ses dimensions devaient correspondre exactement à celle du passage à fermer. Donc l’artisan était contraint de tout faire sur place, de la construction, la décoration à la fixation des deux vantaux, travaillant en étroite collaboration avec le maçon surtout pour la préparation et mise en place des pièces du linteau dans lesquels s’engageaient les pivots de la porte et le pêne (pièce mobile de la serrure) du verrou en bois.
Les artisans de ben Yaala utilisaient particulièrement deux (2) anciens outils : l’herminette (Tagelzimth n’jara) et le vilebrequin (Tabernint).
L’herminette, un outil que tous les kabyles en étaient munis, servait en même temps de pioche et de hache. Elle comporte deux parties finement forgées et tranchantes, l’une parallèle au manche de l’outil sert de hache, l’autre perpendiculaire comme d’une binette, servait à ébaucher le corroyage des planches (ensemble d’opérations qui consistent à dégrossir le bois). Quant au vilebrequin, minutieusement décrit dans l’ouvrage de M.Gast et Y.Assié, comme étant visiblement inspiré du vilebrequin européen. L’outil quoique rustique était particulièrement ingénieux composé d’une tige de fer ronde de 8à 9 millimètres de diamètre ,plusieurs fois coudée en forme de manivelle avec les deux extrémités arrangées en forme de forets et affutées afin d’ obtenir des trous pour chevilles, et des avant-trous pour les grands clous de fer.
L’artisan de ben Yaala utilisait évidement aussi le marteau et le couteau, outils de première nécessité, mais également le compas, la pointe à tracer, et dans les derniers temps le trusquin, l’outil de traçage. Les artisans se procuraient se dont ils avaient besoins de Bougie, non produits sur place, par l’intermédiaire des relations ou des colporteurs : scies, limes, râpes à bois, clous de tapissiers à tète de laiton ou de fer, et les gros cadenas de coffres appelés « serrures de bougies ».
Les coffres de ben Yaala
La plus part des coffres fabriqués à ith Yaala révélaient du pin d’Alep (Abouleg, Taida) pour des raisons citées plus haut. Il s’agit d’une caisse en bois, généralement de forme parallélépipédique et qui repose sur quatre gros pieds de bois massif. Le couvercle plat posé sur la partie haute, articulée sur des charnières en fer forgé.
Les flancs comportent deux planches de 30 à 40centimetres de large, tandis que les planches des cotés sont disposées comme celles de la face et du fond. Le dos est toujours plaqué sur le mur, ainsi il n’est jamais visible car dépourvu de décors, l’ensemble est encastré et cloué.
Ce meuble ainsi monté étant fragile et rigide, il alors renforcé par des bandeaux de bois qui encadrent des panneaux verticaux cloués sur la façade et les cotés sur lesquels sont peintes, sculptés des figures géométriques simples et complexes, des rosaces et des ajours qui laissent passer l’air et lumière. Quant au fond du coffre, formé d’une planche s’appuie aux les quatre coins sur des entailles creusées horizontalement sur les pieds, et soutenues par des entretoises clouées.
A l’intérieur de la caisse, un coffret est aménagée du coté droit ou du coté gauche qui joue le rôle du tiroir (leqjar), ou boite à bijoux.
Certains coffres possèdent des aménagements particuliers : double-fond, cache d’armes.
Les coffres sont agrémentés de couleurs chatoyantes, rouge vermillon, noir et jaune, de gravures, peintures et sculptures variées, sur les panneaux rapportés sur la façade et les cotés.
Ces décors varient constamment d’une pièce à une autre car chaque meuble se veut une pièce unique avec de légères constantes régionales qui semblent être l’expression du savoir –faire d’un artisan et de sa famille, qu’un style consacré et généralisé. Sans être une école ou bien une référence, cet art rural très fortement géométrique ou dominent les figures rectilinéaires simples (trait, chevron, croix, carré, triangle, losange), de figures curvilinéaires (cercle, ovale, palme, foliole, fleuron, bouton) et surtout le motif très particuliers propre au coffre Kabyles « la frise florale », des motifs qui perdurent depuis l’époque néolithique. G. Camps (1987, p. 11).
Les portes de ben Yaala
A Ben Yaala, les différents éléments d’une maison d’habitation s’ordonnaient autour d’une cour qui communiquaient avec l’extérieur par une porte à deux vantaux, assez large pour permettre le passage sans trop d’encombre des personnes et des animaux. Chaque vantail comportait un bâti composé de 2 montants de 10 à 12 centimètres de largeur sur 7à 8 cm d’épaisseur et de 5 à 6 cm de traverses de même section. Assemblées par des tenons et mortaises en bois,chevillés.
Les deux extrémités d’un montant, arrondies en forme de cylindre, servaient de pivots à la porte .l’extrémité supérieure s’engageait dans un trou cylindrique pratiqué au-dessus, dans le linteau, tandis que l’extrémité inferieure portant une ferrure (paumelle), tournait dans une crapaudine de pierre scellée dans le sol (pièce qui permet de faire pivoter le portail).
Le parement extérieur de la porte étant formé par des planches de 25à 30 centimètres de largeur sur 2.5 cm d’épaisseur, assemblées bord à bord et clouées sur le bâti par de grand clous de fer forgés. Les interstices étaient recouverts par des couvre-joints.de 6à 7 centimètres de largeur. Un gros verrou de bois en position verticale, fixé sur l’un des vantaux et assurait la fermeture du portail.
Le verrou de fermeture était intelligemment conçu, composé d’une longue pièce de bois coulissant entre les traverses supérieures du bâti et dont l’extrémité ayant une forme de tenon s’engageait au moment de la fermeture, dans la mortaise (un trou dans le bois) pratiquée dans le linteau (la partie supérieur de l’encadrement de la porte).sa partie médiane garnie d’une pièce articulée qui par un mouvement de rotation permet de libérer ou de bloquer le verrou en position haute pour la fermeture de la porte. Celle –ci s’ouvrait vers l’intérieure car le rebord du linteau en haut et une rangée de pierres enfoncées dans le sol empêchait la porte de s’ouvrir vers l’extérieur. Comme l’indique le schéma ci-dessous.
Un des vantaux était fréquemment percé d’un portillon bas et cintré .équipé d’un un petit verrou semblable à celui du vantail et d’un heurtoir (marteau de porte) en forme d’anneau fixé sur une demi-sphère qui permettait aux visiteurs de signaler leur présence.
Ces portes étaient de véritables chef-d’œuvre, décorées de motifs, formes, et sculptées, aux couleurs vives ou dominent le rouge, et le noir avec quelques variante de jaune .des rosaces, demi rosaces, des fibules qui s’ordonnaient verticalement et reliées par des chainettes faites d’entailles triangulaires, entrecoupées par des frises qui traversent horizontalement la porte.les couvre-joint également décorés de chanfreins, rainures, et d’entailles.
La surface libre est entièrement teinte de couleur rouge dans laquelle sont incrustés de petits cercles soulignés d’un trait noir représentant des yeux en rapport avec les cultes ancestraux destinée à chasser « le mauvais œil ». Toutes les couleurs étaient obtenues localement par un procédé de broyage de pierres (sels métalliques) auxquels on y ajoutait du blanc d’œuf. La couleur jaune provenait des roches de la montagne de « Thilla » et le noir était à base de suie.
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L.Ouali decembre 2017

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